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Mois de la Photo : Robert Doisneau, Les années Vogue

Preview

Du 8 mars au 28 mai 2017, à l’Espace Richaud, à Versailles, l’exposition Robert Doisneau, les années Vogue présente un aspect méconnu du travail de « reporter mondain » effectué par Robert Doisneau pour le magazine Vogue, de 1949 aux années 60. Une facette de son œuvre à découvrir réalisée avec la complicité de Michel de Brunho qui dirige alors le magazine à Paris.

Les deux années, peut-être trois, passées à Vogue ne me laissent que quelques souvenirs brumeux qui s’effilochent avec le temps. Il faut dire que ceci se passait il y a un tiers de siècle.

Restent les images qui viennent, comme des rails de sécurité, éviter les dérapages de la mémoire – et encore ! Parlons-en du pouvoir des images : seules les dates demeurent exactes, pour le reste c’est selon l’humeur. Parfois, elles ne paraissent montrer que les gesticulations d’un monde futile ou bien, accueillies dans de meilleures dispositions, elles deviennent les illustrations d’une société au raffinement exquis.

Avec le recul, je m’explique pourquoi Michel De Brunho m’avait proposé ce contrat. J’étais le fils du jardinier invité à venir avec les enfants du château à condition d’apporter avec lui un regard neuf.

Le regard neuf était garanti, car jamais, au grand jamais, je n’avais été témoin de tels spectacles, et là, je pense particulièrement aux manifestations mondaines, à ces grands mariages de sept mètres de traîne ou à ces bals comme on n’en fait plus.

Tout compte fait, c’était un mauvais placement et, aujourd’hui, je crois savoir pourquoi. L’envie irrésistible de faire une image est dictée par la recherche des éléments qui ont provoqué une émotion toute neuve. De mon enfance il me reste bien dans un coin de ma tête un château de grand Meaulnes, mais à part cela rien de préalablement perçu pour me laisser une obsession luxueuse, donc je ne pouvais compter que sur mon habileté manuelle dans le maniement du Rolleiflex et l’utilisation astucieuse des ampoules flash.

Ajoutons pour faire bonne mesure la connaissance de quelques règles élémentaires de composition.

En résumé, mon emploi à Vogue pouvait se diviser en trois volets. D’abord la vie à Paris, sorte de trombinoscope de ceux dont les noms devaient absolument alimenter les conversations : artistes, écrivains, créateurs de toutes sortes.

Ensuite les photographies de mannequins dans les décors de la ville ou sur le redoutable fond blanc du studio. Par jeu et pour masquer mon insensibilité, j’ai beaucoup utilisé les éléments naturels et aussi l’aide de la maison Ruggieri : pluie, neige, bombe fumigène, pluie d’étoiles, feux de Bengale grâce auxquels le studio perdait sa raideur. Enfin, le troisième volet, les mondanités, est celui qui m’a laissé les souvenirs les plus durables.

Le bal du siècle a été, indiscutablement, celui donné à Venise par Monsieur Beistegui. Une bonne moitié des invités avait traversé les océans passant du Boeing à la gondole pour être présents cette nuit-là. C’était le faste et la magnificence à l’intérieur du Palais Labbia. C’est bien simple, Monsieur Beistegui sous les fresques de Tiepolo était un procurateur de Saint-Marc.

À l’extérieur, le peuple était invité à grimper à des mâts de cocagne pendant qu’Arturo Lopez faisait une entrée, remarquablement déguisé en empereur de Chine sur chaise à roulettes, poussé par une suite de courtisans costumés en oiseaux.

Autant qu’il m’en souvienne, il y eut une altercation, car quelques plumes volèrent. Tout ceci peut paraître bien futile. C’était une fête dans un Palais dont le mérite devait être la reconstitution d’une vieille estampe. 
Peut-être que ce Monsieur Beistegui recherchait lui aussi, à sa façon, quelques souvenirs d’enfance.

Au matin, place Saint-Marc, domino roulé en boule sous le bras, je prenais, solitaire, un café pour réparer les fatigues de la nuit. S’approche alors une sorte de cortège avec en tête le Roi Soleil d’une nuit. Arrivé à ma hauteur, petit signe amical de la main dans ma direction. Je me retourne, j’étais seul, c’était à moi que s’adressait la bénédiction.

Complice de la Dolce Vita. Dans les rôles de composition, il ne faut pas s’attarder. J’avais vu, c’était suffisant. C’est à peu près vers ce moment-là que j’ai décidé de ne plus reprendre mon smoking de location au Cor de chasse.

En faisant le ménage dans mes souvenirs et après avoir balayé quelques scories du snobisme, je retrouve la paternelle bienveillance de Michel De Brunho, la complicité énergique d’Edmonde Charles-Roux, mon étonnement devant les attitudes dramatiques d’Irving Penn face à ses modèles, le charme des images d’Henry Clarke, ces deux-là nageaient dans l’élégance comme des poissons dans l’eau. Mais avant tout apparait obstinément la silhouette de mon fidèle assistant Maurice, avec ses deux musettes U.S Army bourrées d’ampoules flash.

Notre arrivée dans le péristyle chez le Comte Étienne de Beaumont : deux hommes-orchestres en smokings tirebouchonnés. Monsieur le Comte, malicieux, a résumé la situation : « Vous allez être les rois de la soirée ».
 Mais ceci est encore une autre histoire…

Robert Doisneau
28 juillet 1986

Robert Doisneau, Les années Vogue
Du 8 mars au 28 mai 2017
Mois de la Photo
Espace Richaud
78, boulevard de la Reine
78000 Versailles
France

www.versailles.fr

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