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Histoires de scoop. PHOTO #122, nov 1977 : Daniel Angeli

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Daniel Angeli : secrets, combines, recettes et confidences du roi de la photo à sensation

« Je serais un fou si je n’appuyais pas sur le déclencheur quand je surprends une personnalité en mauvaise posture, une star déshabillée ou un couple célèbre. Pour trois raisons : d’abord, un autre ferait le cliché à ma place ; ensuite, je perdrais pas mal d’argent ; et enfin, je manquerais une occasion de me faire plaisir. j’aime ce métier. j’aime l’exercer à fond et le mieux possible. Pas d’hypocrisie, surtout : tous les gens de la profession sont à l’affût de telles images. Un bon reporter doit être un bon paparazzi ; sinon, qu’il se cantonne aux natures mortes. »
Un grand voyou, ce Daniel Angeli ? Il en a l’apparence. Une taille plutôt petite, le cheveu brun, les yeux trop vifs, le sourire trop appuyé ou trop amer, un ton trop enjoué pour se raconter. Qu’il ait choisi un métier équivoque, cela est sûr. Il en est de pires, évidemment. Et pourtant: oubliez un instant les motivations éculées des journaux à sensation, le culte des vedettes, le mythe d’une société riche, donc frelatée, et le droit des groupies et autres fans à être informés ; puis remplacez la vedette, la star ou la personnalité traquée, épiée, pistée jour et nuit, par vous-même.

Dans ce cas, que pensez-vous de Daniel Angeli ? Ces images dont raffole l’immense majorité du public — l’intimité adultère d’une actrice, les moments privés d’un couple de renom, l’alcoolisme d’une personnalité —, transposez-les dans votre vie personnelle. Alors, vous fait-il toujours sourire, Daniel Angeli ? A force de vouloir créer un monde marginal, qui fait rêver ou espérer, que l’on envie ou que l’on condamne, on finit par oublier qu’il n’est pas forcément composé de pervers, de refoulés, d’alcooliques, de nymphomanes ou de maniaques sexuels, mais plutôt d’individus lancés dans un jeu qui les fait vivre et auquel ils ne doivent ou ne peuvent se soustraire. Alors, pourquoi mettre Angeli sur la sellette ? Parce qu’il est le meilleur. Parce que le reportage, le journalisme contemporains, c’est aussi ses images. Parce qu’il a la vigueur, l’endurance, la volonté de vaincre, la joie de réaliser, qualités dont beaucoup de photojournalistes sont aujourd’hui fort dépourvus. Ce punch, cette « gamberge », cette jouissance des coups insensés et impossibles, c’est tout Angeli. Et pas de fausse pudeur : ce sont les journaux, les lecteurs, les vedettes et les personnalités qui ont créé Angeli, pas l’inverse.

Depuis quinze ans, de tous ces paparazzi — nés d’un joli mot de Fellini lors du tournage de La Dolce Vita, Angeli est le maître. En France, on voit peu ses images. La loi protégeant la vie privée de l’individu est très stricte chez nous. Mais en Italie, en Grande-Bretagne, dans les pays nordiques, en Espagne même, ou en Allemagne, la loi ou l’absence de loi permet beaucoup plus. Et chaque mois, voire chaque semaine, un coup particulièrement réussi d’Angeli fait la couverture de tous les journaux ou magazines à sensation. L’intimité de Romy Schneider et de son mari sur un bateau, c’est Angeli. Le prince Charles avec une jeune fille, à Deauville, c’est encore Angeli. Agnelli plongeant nu de son yacht, en pleine affaire Révelli-Beaumont, c’est toujours Angeli. Et bien d’autre scoops encore. Angeli, donc, parce qu’il est le meilleur … ou le pire. Et puis, surtout, parce que ce sale métier qu’il fait divinement bien, il ne le renie pas. Il ne se cache pas, ne s’abrite derrière aucune justification morale, ne brandit pas le droit sacré de l’information et n’a pas mauvaise conscience. « J’aime planquer, réussir un coup, monter une combine : c’est mon plaisir, je ne vais pas le bouder. » Oui, ce métier lui plaît. Il le fait bien, trop bien même. Et ce n’est pas une vie de voyeur qu’il raconte, mais un prodigieux roman d’aventures dont insensiblement il devient le héros.

Il naît le 27 septembre 1943 à Paris (14e). De souche italienne, son père est barman d’une boîte à la mode. Trop mauvais élève du lycée Buffon, Daniel entre à 15 ans comme assistant documentaliste à Jours de France. La photographie, déjà, le fait rêver. Pas celle vers laquelle il se tournera, une autre : le grand reportage. Entre les cafés et les bières qu’il va chercher pour les photographes du magazine (l’essentiel de son emploi), il les écoute parler. En 1959, en pleine guerre d ‘Algérie, l’un d’entre eux l’emmène à Nanterre, dans les bidonvilles. Le rédacteur en chef, fou de rage en raison des risques encourus, renvoie Daniel chez ses parents. A seize ans et demi, il entre au laboratoire de l’agence Dalmas. Il est en blouse blanche, travaille dans le noir… et « au noir» (non payé), apprend son métier — « Je réussissais même à glacer à deux mains ! » — gravit les échelons, rêve d’images et de voyages avec un autre assistant, tireur comme lui, Raymond Depardon. Son père lui a acheté un Rolleiflex. En 1960, il vend à l’agence sa première photo : le démontage de la piscine Deligny. On lui donne 4,50 F. Depardon et lui, las de végéter, gambergent des coups, discutent de photographie des nuits entières et obtiennent l’autorisation de suivre les soirées mondaines et les premières parisiennes. Et ils en trouvent, des « scoops » !

Avec la première fiancée de Karim Aga Khan, Angeli gagne 500 000 anciens francs, et autant pour la première photo de Charrier et de Marie-France Dreyfus. Il troque bientôt son pesant flash Braun (à batteries à eau) contre la nouvelle merveille qui vient de faire son apparition, le Mighty Light, moins voyant, plus rapide et d’un maniement plus facile. En noir et blanc, Angeli est devenu un posemètre humain : en un quart de seconde, il connaît la vitesse et le diaphragme convenables. Cela ne lui évitera pourtant pas quelques ratages mémorables. Un jour, Romy Schneider et Alain Delon canotent en amoureux sur le lac du bois de Boulogne. Il appuie vingt fois sur le déclencheur et rentre triomphant à l’agence. Il ouvre son boîtier : pas de film à l’intérieur. Autre ratage, onze ans plus tard, à Monaco : arrêté à un feu rouge, il découvre, dans la voiture d’à côté, la princesse Caroline et le chanteur Philippe Laville enlacés… alors que ses appareils sont dans le coffre. A dix-neuf ans et demi, le pli est pris. Angeli gagne 1 200 F par mois au laboratoire et le double en piges photographiques. Il croit s’apercevoir que son patron, Dalmas, figure légendaire du monde photographique des années 1960, gros, sec, fumant énorme cigare, hurlant et vociférant sans cesse, est d’une honnêteté toute relative dans la revente de ses photos. Cinq pochettes de disques de Brassens, faites avec ses images, ont été oubliées dans son relevé de piges. « C’est un impardonnable oubli », s’écrie « Dal ».

Et il lui propose d’abandonner le laboratoire et d’être reporter salarié… pour le tiers à peine de la somme qu’il gagnait auparavant. Un titre de reporter, Angeli en avait toujours rêvé. Il se retrouve à Orly, dans la boutique Dalmas de l’aéroport. Il couvre toutes les arrivées et tous les départs. Il touche un peu plus de 150 000 centimes par mois. Mais il s’ennuie. Un dimanche de décembre 1963, Angeli est sur la terrasse d’Orly, non par conscience professionnelle, mais en raison d’un flirt avec une hôtesse qu’il a invitée à déjeuner.

Un avion s’écrase au décollage. Il y aura 140 morts. Orly est bouclé. Angeli enfile une veste de mécanicien, emprunte une salopette, fonce sur la piste nord-sud, réalise ses clichés, photographie l’hôtesse survivante, se précipite à la chapelle ardente, porte trois cercueils, refait des images des 140 victimes, prend une trempe magistrale de la part d’un C.R.S., rentre à l’agence (rue de la Grande-Truanderie, cela ne s’invente pas !), est complimenté par « Dal », vend ses images dans le monde et reçoit 500 F de prime. C’en est trop pour lui, l’exploitation a assez duré. Il claque la porte et se retrouve seul. Il accomplit son service militaire, revient, reprend ses appareils, ouvre un labo dans sa salle de bains, végète, se construit un réseau d’amitiés et d’informateurs sûrs, — portiers d’hôtel, femmes de chambre, chauffeurs, serveurs et autres concierges. Ses photos d’une dispute Burton-Taylor « font» une double page dans Match, sa planque de quatre jours sur le couple Margareth de Danemark-Montpezat également. Alors, c’est décidé, il sera paparazzi. C’est quand même moins sordide que la photographie de faits divers, où il faut se ruer sur les cadavres, sur la famille de la victime, sur les intimes du meurtrier, faires les clichés des gosses déchirés entre père et mère, de la bonne violée, voler les albums de famille et monter des mises en scène avec des gens simples et de bonne foi que l’on escroque avec de vagues promesses. Angeli va trouver son âme damnée : un paparazzi italien nommé Angelo, qui vient de réussir quelques clichés à sensation de Marilu Tolo et du prince Alphonse de Bourbon-Parme.

Angelo escroquera Angeli, mais lui apprendra, avant de disparaître, toutes les ficelles les plus subtiles du métier. Le grand coup des années 1970, surtout pour la presse itaiienne, c’est l’idylle de Marie-Gabrielle de Savoie, la princesse préférée des Italiens, avec Robert de Balkany. Les rédacteurs en chef transalpins sont prêts à donner beaucoup d’argent pour un cliché les montrant ensemble. Nul n’a réussi. Balkany, qui essaie de faire annuler son mariage par le pape, se montre extrêmement prudent. Trois fois pourtant, Angeli et Angelo vont surprendre le couple. La dernière fois, Angeli est seul. Le couple dîne ce soir-là chez des amis, au bois de Boulogne. Angeli a emprunté une voiture, car la sienne est trop repérable, De 21 h à 2 h du matin, il planque devant l’entrée, tapi au fond de son véhicule. A 21 h 05, le couple sort, accompagné d’amis. Angeli surgit, fait trois images et disparaît en courant dans le bois, poursuivi par Balkany. Une heure et demie plus tard, il revient à sa voiture, ouvre la portière. Deux phares s’allument en face de lui. C’est Balkany qui l’a piégé. Quinze fois, le promoteur précipite sa Mercedes dans la R8 du photographe. Par la vitre avant droite, Angeli, livide de peur, s’échappe et se réfugie à nouveau dans le bois. Il en sortira à 6 h 30 pour photographier les deux voitures épaves, témoins de son ahurissante histoire. Il n’ose pas porter plainte. Le lendemain après-midi, il est convoqué par Balkany qui lui propose un troc : une R8 neuve et cinq jours d’indemnités contre les négatifs de la soirée. Angeli accepte.

Il s’en veut encore aujourd’hui : « J‘ai manqué de courage, j’aurais dû porter plainte. Il ne faut pas avoir peur, dans ce métier. » Le véritable Angeli est né. Son réseau d’informateurs est en place. C’est une merveille d’efficacité et de précision.
Numéro un : les hôtels. Dans chacun d’eux, un portier, un valet de chambre, un groom lui fait savoir en moins d’un quart d’heure l’arrivée d’un couple intéressant. Le plus fertile des hôtels : le Plaza Athénée, avenue Montaigne. « Tout le inonde y descend. De plus, c’est un hôtel facile à “planquer” ». Viennent ensuite le Ritz (de temps en temps), le George V (passé de mode), le Raphaël (celui qui monte), le Relais Bisson, rue des Beaux-Arts (plus rarement).
Numéro deux : les restaurants. Maxim’s (« C’est 90% de notre travail, l’informateur est sûr. »), l’Orangerie, la Tour d’argent, les Années trente (« C’est fini, aujourd’hui. »).
Numéro trois : les boîtes. Régine, surtout l’Alcazar, autrefois le Privé. Castel et l’Élysée Matignon sont sans intérêt. Numéro quatre : les grandes adresses connues pour leurs soirées : celle du baron Rédé, dans l’île Saint-Louis, du commandant Paul-Louis Weiler, des Rothschild, des Patino et des La Rochefoucault (« C’est un peu tombé aujourd’hui, le fisc a tué le faste. »).

Le plus étonnant, c’est qu’Angeli ne paye même pas ses informateurs. Tous l’aident bénévolement, par gentillesse, par amitié ou en échange de quelques services : les photos de première communion de l’aîné, du mariage de la sœur, quelques conseils techniques ou développements gratuits. Son réseau est sûr, jamais une faille, jamais une imprécision. Si le voiturier de tel hôtel lui téléphone pour lui annoncer l’arrivée de X et de Y, Angeli peut le croire. Alors, selon l’importance du couple, il se servira de sa voiture ou en empruntera une autre. Précaution élémentaire, autant par rapport à ses victimes qu’à ses autres confrères qui peuvent rôder dans les mêmes endroits. Il fera provision de sandwiches, s’interdira de fumer, se défoncera au café pendant le temps qu’il faudra en attendant que le couple veuille bien se montrer.

« Planquer, c’est être aux aguets vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une minute d’inattention, et tout est foutu. Il faut tout surveiller. Qui entre, qui sort, le concierge, le secrétaire, le fleuriste, la femme de ménage, les amis, tout peut vous donner une indication. Une des règles d’or est de connaître la voiture personnelle de la personne que vous pistez. Alors c’est gagné à 50%. Cela vous dispense de faire le pied de grue devant la porte même de l’intéressé. Il faut connaître tous les numéros minéralogiques par cœur et, accessoirement, ceux de vos concurrents. J’en ai doublé un certain nombre ainsi, en reconnaissant leur voiture à proximité du domicile de quelques personnalités. C’est très dur, la planque. Souvent, vous êtes repéré par un quidam quelconque. Cela m’est arrivé avenue Paul-Doumer, devant chez Brigitte Bardot. Deneuve, à l’époque, demeurait dans le même immeuble, c’était pratique. Le vigile de la banque d’en face a appelé les flics. Il croyait avoir affaire à un gangster. Ma voiture fut cernée en une demi-seconde et je me suis retrouvé au commissariat, face à un inspecteur hilare. En Suisse, c’est pis encore, un enfer. A croire que chaque citoyen helvétique est un auxiliaire bénévole de la police fédérale. Planquer, cela s’apprend. Il faut dominer son impatience, ne pas surgir de sa voiture à la moindre sortie. Un coup de flash maladroit, et tout est à recommencer. Il faut savoir suivre une personnalité six, sept, huit jours durant et attendre le moment opportun. Mes plus longues planques : dix jours pour Bardot et Gainsbourg, quand ils sont allés emegistrer, dans une auberge de province, la première version du disque “Je t’aime moi non plus”. Dix jours à raison de quatre heures de sommeil par nuit, de 3 h à 7 h du matin. Elizabeth Taylor à l’hôtel Lancaster : quarante huit heures sans dormir une seule minute. Quatre jours pour Aristote Onassis, après son mariage avec Jacky Kennedy, quand il a retrouvé pour la première fois la Callas. 88, avenue Foch, le domicile d’Onassis : qui n ‘a pas connu cette adresse ? Même les plus grands reporters y sont venus au moins une fois. J’adorais Onassis. J’ai sincèrement pleuré sa mort. “Pépère” ou “le vieux”, c’étaient les surnoms qu’on lui donnait ; il était formidable. C’était Rosa, son chauffeur, qui était mon indicateur. Onassis m’aimait bien, je crois qu’il avait pris l’habitude de me voir. Souvent, il me tuyautait : “Angeli, j ‘ai sommeil, tu sais. Je rentre chez moi. A demain.” Je savais que je pouvais lui faire confiance. Il a changé, après son mariage avec Jacky Kennedy, et à la fin, c’était terrible, il ne reconnaissait plus personne… »

C’est ainsi que depuis sept ans s’écoulent les journées d’ Angeli. Il y a plus étonnant encore. L’emploi du temps type d’une journée sans histoire, sans tuyaux reçus, sans informations précises. Elle commence à 19 h 30 par la tournée des adresses connues : Onassis, Bardot, Deneuve, etc.

Puis ce sont les hôtels. A 21 h 30, Maxim’s. Suivant les renseignements glanés et les voitures reconnues, Angeli y reste jusqu’à 23 h 30. Puis ce sont les salles de spectacle où, invariablement, quelques vedettes en mal de publicité lui proposeront quelques coups fabriqués et bidons. C’est ainsi que Thierry Le Luron fera la une des journaux avec sa fausse idylle avec la princesse de la Rochefoucault ; ou qu’Yves Mourousi s’inventera une passion pour Mireille Mathieu, avec la bénédiction de Johnny Stark ; ou encore que Daniel Gérard s’évertuera à poser avec quelques jeunes filles célèbres. Angeli se prête avec plaisir à ce jeu entièrement fictif ; et puis, là au moins, il ne risque pas de procès. Si à 1 h du matin la chasse n’a rien donné, il reste les sorties des boîtes, la longue attente devant chez Régine. « Les clients ou amis vous confient, lorsqu’ils sortent un peu éméchés, ce qui se passe à l’intérieur… C’est bien le diable si l’on ne trouve pas parmi eux un couple inhabituel mais célèbre. »

Le dimanche, toujours en cas de tournée ordinaire, Angeli y inclut un détour aux courses, pas à celles d’obstacles ou de trot, où l’assistance est trop populaire, mais à celles de Chantilly, de Longchamp ou de Deauville, encore que, selon Angeli, les courses aient perdu beaucoup de leurs fastes d’antan. Depuis cinq ans, il a même amélioré son système. Fort du principe que les gens riches partent en vacances l’hiver au ski et l’été à la mer, il s’est créé aussi ses saisons touristiques. Du 15 décembre au 15 mars, il est à Gstaad. Du 15 juin au 30 août, à Saint-Tropez. C’est à Gstaad, où il n’y a qu’un seul palace, un seul restaurant, un seul club de ski, une seule piste et où il est de bon ton d’aller, qu’il a surpris un flirt de la fille d’Onassis, la seconde réconciliation des Burton, les dîners de la famille royale italienne, Robert Redford en famille (en soudoyant le paysan du chalet d’en face qui ignorait même le nom de l’acteur).

C’est à Saint-Tropez qu’il photographie depuis cinq ans B.B. nue sur son fameux ponton de La Madrague et qu’il a surpris Romy Schneider, Marisa Berenson, Ricky Von Opel, Gregory Peck barbotant dans une piscine, Roman Polansky, et Mme Karajan victime de l’exhibitionnisme de son voisin. Son métier, Angeli le connaît jusqu’au bout des ongles. Si à Gstaad un photographe n’est pas capable de skier, autant qu’il reste à Paris. Lui, Angeli, il a appris à photographier en skiant. C’est très difficile. Si à Saint-Tropez un photographe n’a pas de bateau ou ne sait pas en manœuvrer un, autant qu’il s’abstienne. Alors, Angeli a passé son permis maritime. Mais un type seul, en mer, avec ses appareils, cela se remarque. Alors, Angeli « loue » ou « emprunte » un enfant, séduit une minette : et qui se méfie des mouvements d’un bateau où, sur le pont, bronze une fille aux seins nus et joue un enfant ? Qui remarque, derrière le parasol ou la serviette protégeant l’enfant, le 400 mm fixé sur lui ? Et même si la victime s’en aperçoit, le film qu’Angeli tendra en cas de menace n’est pas celui qu’il a impressionné. Le bon film est déjà caché dans d’invraisemblables endroits ou confié à un ami sûr, puis développé dans un laboratoire où l’on ne se mêle pas de ce que représentent les images (voilà pourquoi Angeli n’utilise pas de Kodachrome).

Et tout cela, Angeli le fait seul , dans ce milieu où l’on se méfie aussi et surtout de ses confrères. « Une énorme rivalité existe. C’est presque de la haine, malgré une apparente amitié. Vous pouvez crever de froid ou de faim, n’attendez aucune aide d’aucun confrère. Je joue le jeu, j’en accepte les règles. Je suis un chien… comme les copains. J’essaie d’être le plus fort et je ne m’embarrasse ni de femme, ni de chien, ni de canaris. » Alors, avec ce génie de la combine et de la ruse, comment ne seraient-ils pas énormes, les coups d’Angeli ? Quand il découvre l’idylle Charlotte Ford-Niarchos (par le voiturier du Plaza), il planque devant le domicile de l’armateur. Mais jamais les « proies» ne sortent ensemble. Charlotte Ford utilise sa Mustang, Niarchos sa Rolls. Un soir, Angeli suit l’armateur à un dîner dans une propriété de Versailles. Charlotte Ford arrive une demi-heure plus tard. L’entrée est gardée par la police. Il est 22 h. Angeli rentre à Paris, se planque à la sortie du tunnel de Saint-Cloud. A 3 h 30, le couple passe dans la Rolls, Charlotte Ford couchée sur l’épaule de Niarchos. Il les suit. A un feu rouge, il descend. Trois flashes, la photo est faite. Il enverra le lendemain 20 roses à Charlotte Ford pour se faire pardonner. Maria Callas et Aristote Onassis ont, eux aussi, deux voitures. Là, c’est un énorme coup de chance. Apitoyée par Angeli qui a planqué quatre jours sans résultat, c’est une de leurs amies intimes, la baronne Von Zhuylen, qui lui « arrange son coup » et demande au couple de poser dans la même voiture pour Angeli. Neuf millions et demi d’anciens francs pour lui. Pour l’idylle de Burton et de la princesse Elisabeth de Yougoslavie, il planque 24 heures sans résultat devant l’hôtel rue des Beaux-Arts. Il revient le lendemain à 8 h. A 10 h, il lève la tête. Il sont tous les deux au balcon de leur chambre. Un coup de 200 mm. Dix minutes plus tard, ils sortent avec les deux enfants de la princesse. Il les suit à pied jusqu’au Flore, où ils prennent leur petit déjeuner. Il les perd à la sortie, car leur voiture est venue les chercher. Il revient à son véhicule, les retrouve à un feu rouge de la rue Bonaparte, les suit au Sacré-Cœur et… gagne six millions. Il apprendra plus tard qu’un de ses confrères, ayant remarqué les emballages de pellicule jetés dans le ruisseau, face à l’hôtel, a failli planquer à son tour. Jamais plus Angeli ne commettra cette erreur.

Pendant un temps, le photographe passe aux hommes politiques. Il suit Pompidou, piste Giscard d’Estaing, mais abandonne très vite un terrain par trop brûlant (« Il ne faut pas toucher à cela, c’est trop dangereux. »).

A Saint-Tropez, par les gardiens du port, il apprend que Romy Schneider et son mari ont prévu une sortie en bateau aux îles. Il les suit, tombe en panne de moteur au phare de Camarat, fulmine, tempête, maudit le mauvais sort. Un bateau jette l’ancre à 100 mètres du sien. A l’intérieur : Willy Rizzo, Helmut Berger et trois jolies filles. Cela doit s’appeler la chance. Pour la rencontre Bardot-Warren Beatty, Angeli abandonne et met son assistant sur le coup. Pendant quatre heures, ce dernier reste allongé sous une voiture, avenue Paul-Doumer. Il a appris à reconnaître les jambes de l’actrice, car il ne peut pas voir le visage des gens qui sortent. Au bout de quatre heures, deux jambes apparaissent. Ce sont celles de Bardot, et Beatty l’accompagne. L’assistant sort et réalise son cliché. Deux millions et demi d’anciens francs. On signale Greta Garbo au cap d’Ail , Angéli fonce, se terre, rampe, enregistre quelques images imprécises d’une dame au bord d’une piscine. France Dimanche publie les photos. D’autres magazines italiens et allemands suivent. L’informateur rappelle Angeli : ce n’était pas Garbo, mais une femme lui ressemblant. Deux mois après le mariage de la princesse Anne, on parle de grossesse. Là, la planque ne sert à rien. Il faudra attendre. Tous attendent, sauf Angeli. Au champ de courses de Badmingtort, il loue une voiture d’enfant, engage une figurante, fait passer et repasser (douze fois) le landau et la fausse mère devant la princesse. Cela ne rate pas : sur chaque image, Anne d’Angleterre se retourne et observe le landau.

A Saint-Tropez, il piste Paola de Liège sur un bateau. Aucune histoire, aucun nu, rien. Il appuie six fois sur le déclencheur. A la septième, le vent gonfle la robe de Paola, on la croirait enceinte. Les journaux du coeur s’arrachent ce cliché. Trois millions tombent avant le démenti. A Londres, il découvre avec un ami le domicile privé de Snowdon, qui vient de quitter Margaret. A Villefranche, il photographie Niarchos, qui va épouser la première femme d’Onassis. Niarchos lui fait demander son prix pour les images. Angeli refuse. Rue de Ponthieu, il surprend dans une voiture un Gunther Sachs libertin avec trois jeunes filles. Sachs demande les négatifs, Angéli les lui donne. Depuis, ils sont amis et c’est désormais un Sachs rangé, père de famille et bon mari qui pose pour lui à date fixe. Des trois procès intentés contre lui, Angeli en a perdu deux. D’abord contre Belmondo : lui et Laura Antonelli étaient enlacés, dans la rue. Jamais un tel cliché n’aurait dû paraître en France. Belmondo est, avec Bardot, Deneuve et Delon, l’un des acteurs qui protègent le plus sévèrement leur vie privée des publications françaises. L’archiviste d’Angeli a oublié l’interdiction nationale et a vendu pour 145 F l’image à un magazine de jeunes. Le procès est perdu, coût: 1,3 million. Caroline de Monaco, ensuite. Une image d’elle, payée 60 F, sortant de la faculté de Dauphine et illustrant un texte sur les enlèvements d’enfants. Coût : un million. Marisa Berenson et Ricky Von Opel enlacés sur une plage de Saint-Tropez : Angeli a rendu les négatifs et Marisa Berenson a abandonné le procès. Des corrections ou trempes magistrales ? Aucune. Quelques accrochages, c’est tout. Il a été plus heureux qu’un de ses amis, Romano Pizzigoni qui, déguisé en bonne sœur et en curé, a traqué jusqu’en Sicile l’idole du football italien, Riva, en galante compagnie, a été surpris par le footballeur et s’est retrouvé le nez cassé et le visage en sang. Si certains noms de vedettes ou de chanteurs — Hallyday, Sardou, Claude François, Vartan, Sheila — sont absents du palmarès d’Angeli, c’est qu’ils les juge peu rentables : « Ils n ‘intéressent que les journaux français, parfois belges ou luxembourgeois.

Il en va de même pour ceux que l’on pourrait qualifier de “vedettes de gauche” : Montand, Piccoli, Adjani, Terence Stamp, Jane Fonda ou Gian Maria Volontè. Le moindre de leurs écarts n’intéresse personne. C’est invendable, un acteur ou une actrice de gauche ! Ils ne jouent pas le jeu. La fascination n’opère pas. Il n’y a aucun magazine en France pour ces images. Match en publie parfois, mais c’est rare. Ici Paris et France Dimanche ne publient que des histoires entièrement truquées et fabriquées avec le consentement des sujets. Au contraire, en Allemagne, au Mexique, au Japon, même aux Etats-Unis (avec le National Inquirer, le plus grand journal à sensation du monde), tout est encore possible. En Italie, surtout. C’est extraordinaire, à Rome, le nombre de types qui pistent, traquent et cherchent. Comme la ville est un peu passée de mode, certains d’entre eux se sont reconvertis dans le chantage. Le docteur ou le banquier Untel, surpris en coupable compagnie dans un endroit quelconque, doit payer 200 000 lires pour éviter que les clichés n’arrivent à son entourage. C’est dégueulasse, ce chantage. Ce n’est plus de la planque, c’est de l’escroquerie. C’est aussi dégueulasse que la photographie de faits divers, de crimes, de catastrophes ou de rapts d’enfants. D’accord, c’est pas très joli ce que je fais. Mais enfin, je ne voudrais pas trop porter un chapeau ignoble. Prenez Bardot, par exemple. Est-ce une bonne actrice ? Tout son mythe, toute sa carrière se sont faits grâce à notre corps de métier.

Depuis dix ans, elle sait que trois types rôdent en permanence autour de La Madrague et elle ne s’est jamais cachée. Elle a besoin de ce genre d’images. Ses séances de nu qu’elle dispense régulièrement à quelques privilégiés ne suffisent pas. Elle a besoin des paparazzi. Qu’elle reçoive officiellement, chaque mois, un photographe, et une année plus tard on aura cessé de parler d’elle. La nécessité du scandale, c’est vrai. Le désenchantement du fric, c’est vrai aussi. Tout est truqué, manipulé, manigancé. On ne changera rien. Le sexe et l’argent sont liés et sont maîtres de tout. Un monsieur riche aime s’entourer de filles, c’est normal. Et comme il a les moyens, les filles ne ressemblent jamais à des vieux tas. Entre mon cliché au télé d’une personnalité et le portrait officiel réalisé par un maître, il n ‘y a qu’une différence : mon image est plus vraie. Ce genre d’images ne disparaîtra jamais. Il y aura toujours un petit futé qui gambergera ses coups et provoquera sa chance. Moi, cela fait quinze ans que je fais ce métier. C’est long. Parfois, je songe à décrocher. »

Le désenchantement est vraisemblable, le départ en retraite l’est moins. Angeli, avec cinq de ses amis, s’est associé pour une meilleure distribution et une réduction des frais. Il y a Jean-Paul Dousset, son double, son complice dans les planques non solitaires ; Bertrand Rindoff-Petroff pour les soirées mondaines ; Patrick Thomas pour la pop musique ; Jean-Claude Woesdelandt pour les faits divers ; et Marco Morelli, un fantastique tireur. Tous formés par Angeli, ils sont capables de planquer comme lui. Les « Pieds Nickelés », comme les appelle Gunther Sachs. La chasse n’est pas finie pour eux. Cet entretien a eu lieu le 25 septembre. Ils préparaient la rentrée des classes des enfants célèbres. Ceux de Sophia Loren, de Deneuve, de Hallyday. « Romy Schneider vient d’avoir un enfant. Elle ne le montrera pas. Un jour, elle accordera un rendez-vous officiel à quelques confrères distingués. Moi, je le photographierai avant. Ou du moins j’essaierai. Et puis, il y a toutes les histoires d ‘amour à venir. Celles d’Albert de Monaco, qui a 18 ans ; de Stéphanie, qui a 13 ans ; du fils Bardot et de la famille royale anglaise… »

« Paparazzi ! Daniel Angeli », PHOTO #122, novembre 1977

Notes / Légendes
Romy Schneider et son mari . Cap Camarat. à Saint-Tropez. Août 1975.
Jack Nicholson, Sam Spiegel et Lou Adler sur un bateau, dans le port de Saint-Tropez. Août 1976.
Réconciliation de Richard Burton et Liz Taylor à Gstaad. 27 décembre 1975.
Gregory Peck dans sa villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Juillet 1970.
Mireille Mathieu et Yves Mourousi à la sortie de chez Maxim’s. Décembre 1975.
Richard Burton à la sortie d ‘une soirée chez la vicomtesse de Ribes. 1967.
Niarchos à Saint-Tropez, sur le bateau de son fils Philippe. Août 1976.
Marisa Berenson et Riki Von Opel sur la terrasse de leur maison, à Saint-Tropez. Juillet 1975.
Margareth de Danemark et Henri de Montpezat au Bistrot de Paris. Novembre 1965.
Mick Jagger et Nathalie Delon à la sortie de chez Maxim’s.Novembre 1975.
Thierry Le Luron et la princesse de La Rochefoucault à Saint-Tropez. Juillet 1977.
Kissinger et Niarchos à Monaco. Mai 1977.
Robert Redford à Wengen, en Suisse. Avril 1977.
La fausse Greta Garbo au cap d’Ail. Juillet 1970.
Richard Burton et la princesse de Yougoslavie. Paris, octobre 1975.
Lord Snowdon. Londres, avril 1976.
Nathalie Delon et Franco Nero à leur sortie de l’hôtel Raphaël. Mars 1970.
Le professeur Barnard chez Régine. Novembre 1967
Le prince Charles et X … à Deauville. Août 1977.
Kassogy et X … à Monaco et à Beaulieu. Juillet 1977.
Giovanni Agnelli sautant de son b teau le Capricia. Saint-Jean-Cap-Ferrat. Juillet 1977.
Eliette Von Karajan. Baie des Canoubiers, à Saint-Tropez. Août 1975.
Robert de Balkany et la princesse Marie-Gabrielle de Savoie sur leur bateau Le Marala, dans la baie de la Napoule. 14 juillet 1977.
Onassis et la Callas à la sortie de chez Maxim’s.  (c’est la photo réalisée grâce à l’aide de la baronne Von Zhuylen).
Onassis et Jacky Kennedy sortant du 88, avenue Foch. Juin 1974.
Onassis et John-John Kennedy à l ‘héliport de Paris. Mai 1972.
Aristote Onassis à la sortie du domicile de la Callas, lors de sa première visite à cette dernière, après son mariage avec Jacky Kennedy. Octobre 1970.
La princesse Anne d’Angleterre. Badmington Horse Trials. Avril 1977.

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