Il faut monter à l’étage et pénétrer dans le café galerie Fann Wa Chai, ouvert il y a un an avec un associé par Linda Al Khoury, fondatrice de la maison des photographes toute proche, pour découvrir une des plus intéressantes expositions du festival. Dans ce lieu sans prétention qui sent bon son accueil bobo cool avec vente de quelques produits bio, le poisson rouge installé dans un aquarium d’artiste qui fut un jour téléviseur doit se sentir plus proche que jamais des dimensions spirituelles de cette terre où naquirent les religions. Car, sur les murs, ce sont les documents produits par les frères dominicains et les pères blancs de l’Ecole française biblique et archéologique de Jérusalem qui font office de révélation. Des portraits, des débuts du XXe siècle aux années trente, des poses dignes, une documentation entre ethnologie libre et volonté de saisir les expressions, une famille apaisée que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui tant les noms de lieux — Madaba, Damas, Jérusalem, Jaffa, Hébron ou Bethléem — sont aujourd’hui plus fréquemment cités dans les pages d’une actualité douloureuse.
Ici, un cheikh de village pose avec son bébé de fils sur les genoux. Le bambin n’a pas pu se retenir et est entièrement bougé, presque effacé, quand le fils aîné, cadré sèchement, se tient derrière. Plus loin, la famille se dit au sens large, avec les grands-parents, quand, devant une école, tous les petits garçons, sauf un, portent le keffieh, parfois de traviole, pour un étrange portrait de groupe. On pose en groupe autour du premier gramophone, et le photographe surgit sur la gauche de l’image pour ce moment « historique ». A Jaffa, autour de 1907, en intérieur, on emballe les oranges dans du papier, du papier de soie sans doute et, à scruter les regards, on imagine le photographe suppliant ses modèles de ne pas fermer les yeux. D’où une scène un peu hallucinée mais revigorante. Et, après avoir détaillé cette trentaine de rectangles, vous prend une envie folle de plonger dans cette photothèque unique de 20 000 plaques de verre datant de 1890 à 1935. Ce n’est pas le moindre mérite de cet avant goût délicieux.
