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Tensions : exposition photo et lancement de la revue du collectif Krasnyi à Bruxelles.

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Rétrospective des luttes sociales couvertes par Krasnyi sur les trois dernières années, 144 pages, une dizaine de photographes, 11 chapitres introduits par des acteurs des terrains abordés, 2 langues, 29 traducteurs, relecteurs, rédacteurs… et surtout 200 personnes qui ont cru en ce projet et l’ont rendu possible par le financement participatif. Fondé en janvier 2011, Krasnyi est un collectif constitué de photographes partageant le même intérêt pour le mouvement social.

L’Œil de la Photographie : Krasnyi est actif en Belgique, France, Espagne. Comment est né le collectif ? D’où est venue l’initiative ?
Krasnyi : Le collectif est né d’une ambition : celle de renouer avec le reportage social, au plus près des gens sur le terrain et du constat que l’espace sur ce plan était malheureusement trop vide en Belgique. L’objectif premier des membres fondateurs était de poser la question de la distance de plus en plus grande entre les opprimés et les médias. Nous avons donc voulu mettre en place un instrument permettant de témoigner et de documenter les luttes sociales actuelles.

Puis, le collectif s’est principalement construit sur base de rencontres dans les mouvements sociaux entre photographes partageant la même envie et voulant rassembler leur travail dans un projet commun. Selon nous, la force du collectif est de nous permettre de développer des projets, d’amener à couvrir de nombreux évènements, d’envisager des publications, ce qui aurait été presque impossible à mettre en œuvre seul.

De plus, ce travail commun permet de partager, de discuter des images et de les choisir ensemble. La richesse d’un collectif est de chercher ensemble ce que l’on veut raconter avant toute primauté individuelle.

ODLP : Vous avez l’ambition de construire un instrument pour donner la parole à ceux qui l’ont moins, hors des medias traditionnels. Quels sont ces medias ?
K. :
Ce que l’on entend par médias traditionnels, ce sont les médias mainstream, quel que soit leur support. On est parti du constat qu’une place très faible était donnée au vécu concret de la majorité de la population. Bien souvent, dans l’actualité, le sujet sera traité par un “expert” avec une grille de lecture normée par un point de vue “bien-pensant”. Mais, trop rarement, ce sujet donnera la parole à une personne lambda directement concernée. Nous avons donc pris le parti de poser un regard partial assumé à contre-courant de celui généralement véhiculé. Notre regard se pose aux côtés des acteurs de terrain et relaie leur combat. Aujourd’hui, les thématiques que l’on aborde sont malheureusement peu relayées par les grandes agences commerciales. Notre positionnement nous permet donc de préserver notre indépendance, notre liberté et notre regard critique.

ODLP : Avec l’exposition de vos photos et la publication de la revue Tensions, vous avez recours aux medias de diffusion plus classiques. Est-ce incontournable pour avoir une plus grande visibilité, ou il s’agit de toucher un autre public ?
K:
Au-delà du projet de notre revue Tensions, nous collaborons depuis le début avec différents médias de diffusions alternatifs (papier, télé, vidéo, radio…). Nous sommes partisans de ce genre de collaborations. Nos images sont faites pour être utilisées, diffusées et il n’y a rien d’incompatible tant que notre regard n’est pas travesti à d’autres fins. Nous ne visons pas un public en particulier, même si inévitablement nos capacités, limitées en termes de diffusion, toucheront nécessairement un public restreint.

Pour nous, la publication de notre revue et l’exposition photo que nous organisons sont une conclusion logique de nos trois premières années de travail. Effectivement, s’il est possible que la revue mette nos images dans les mains de personnes qui ne nous connaissaient pas à travers le Web, nous en serions ravis. Mais nous espérons surtout que ce travail permette de laisser une trace des résistances que nous avons observées ces derniers temps.

ODLP : Photographie sociologique, sociologie visuelle, pour donner la voix aux acteurs et moteurs de notre société. Le texte compte autant que l’image dans vos reportages ?
K :
Comme vous aurez pu le remarquer dans la plupart des sujets couverts, c’est l’image qui prévaut plutôt que le texte qui visera à seulement les mettre en contexte. Nous sommes avant tout un collectif de photographes.

Cela étant dit, nous voulons développer l’aspect rédactionnel. C’est pour cette raison, par exemple, que dans l’élaboration de notre revue nous avons tenu à accompagner nos images par des textes d’acteurs des terrains concernés.

ODLP : Misère, exploitation, injustices, grognes, il n’y aurait vraiment rien de joyeux et positif à dénoncer également ?
K :
Au contraire, bien que nous dénoncions des maux inhérents à un système qui, selon nous, maltraite, déconsidère sa population, la sacrifie sur l’autel du profit, nous posons un regard positif sur ce qui est mis en œuvre pour qu’il en soit autrement. Nous nous intéressons à ceux qui bougent pour changer les choses, ceux qui résistent, qui défendent leurs idéaux. Finalement, l’espoir d’un changement, d’une société plus juste, plus sociale, les solidarités, le rassemblement, sont autant d’éléments qui transcendent nos reportages.

Cela met en fait en avant des perspectives “plus joyeuses” que le fatalisme, l’isolement et le pessimisme qui prévalent souvent face à la situation.

ODLP : Vous le voyez comment, notre monde ? Ces bouleversements sociaux et environnementaux vous inquiètent et ne parviennent pas à vous réjouir ?
K :
Être critiques ne veut pas nécessairement dire être déprimés. Alors bien sûr, nous sommes inquiets de la tournure que prend la société à l’heure actuelle. Toutes les avancées sociales qui ont été obtenues par les luttes passées sont détruites une à une. La précarité s’étend, les tensions ressurgissent sous forme de racisme, d’intégrisme, de haine entre différentes catégories de la population. On ressent très fort tout cela sur le terrain, et on est spectateurs de nombreuses situations scandaleuses et extrêmement préoccupantes quant à la problématique du logement, des licenciements, etc. Tout cela sans parler du désastre environnemental qui s’abat insidieusement sur notre planète, avec son lot de catastrophes naturelles poussant des milliers de personnes à la migration ou à la survie dans des conditions extrêmement précaires.

Mais, encore une fois, nous gardons notre optimisme et les mouvements auxquels nous assistons nous permettent d’espérer un revirement de situation inspirée par des mouvements populaires d’ampleur.

ODLP : « Lutter pour que les gens soient heureux » ? Cela passe forcément par une dénonciation de ce qui ne fonctionne pas ?
K :
Lutter pour améliorer les conditions de vie et de travail de la majorité de la population passe nécessairement pas la dénonciation de ce qui ne fonctionne pas. Mais cela passe aussi par la mise en évidence des résistances et des alternatives qui se mettent en place pour y faire face.

ODLP : L’image comme arme pour le changement social, dites-vous. Quel bilan — victoires ou petits pas franchis — au bout de ces trois premières années ? Tant au niveau des adhérents et collaborateurs que sur le terrain social en lui-même ?
K :
Nous cherchons par notre travail à sensibiliser, à éveiller l’esprit critique et à montrer que les résistances et les solidarités sont toujours bel et bien présentes. C’est en cela que nous considérons que l’image peut et doit être un outil pour le changement social. C’est d’ailleurs déjà un outil largement utilisé par les classes dominantes pour véhiculer leurs valeurs dans les médias.

Le bilan de nos trois premières années d’existence est positif. Au-delà de l’accroissement du collectif en terme de collaborateurs et de visibilité, nous avons accumulé un nombre important d’expériences et de rencontres enrichissantes.

Nous avons permis à certaines luttes d’être plus visibles avec nos petits moyens. C’est d’ailleurs là où se situe notre volonté première, médiatiser davantage les luttes sociales.

Au-delà de la visibilité, nous offrons un moyen d’expression, une tribune, à de nombreuses personnes qui luttent et se font peu entendre. Nous avons toujours été accueillis très chaleureusement et bien souvent, remerciés d’avoir diffusé ces combats.

ODLP : La plupart de vos reportages sont en noir et blanc, cadrages serrés, priorité à l’humain, portraits. C’est comme une signature ?
K :
Chaque photographe a un regard qui lui est propre et chacun se distingue dans sa façon de photographier. Néanmoins, le collectif a la particularité d’être proche des acteurs qui figurent sur nos images. Nous cherchons à être dans le mouvement social non pas à côté. Lors de nos reportages, nous établissons des liens de confiance et de respect avec les sujets que l’on photographie. On cherche à comprendre ce sur quoi nous posons notre regard, pour être le plus fidèle possible aux témoignages que l’on récolte. Cela demande du temps, que de nombreux photojournalistes ne peuvent se permettre de prendre avec l’exigence de rentabilité des agences actuelles.

Lors des prises de vue, nous sommes dans l’action et nous privilégions les focales courtes et fixes type 35 ou 24 mm. Concernant le noir et blanc, il rend l’image plus intemporelle, plus essentielle et c’est un choix sur lequel on se porte plus naturellement. C’est peut-être inconsciemment un clin d’œil historique aux grandes années du photojournalisme.

Quoi qu’il en soit, ça n’est pas une ligne de conduite, et il y a parfois certains sujets que nous préférons traiter en couleur. De manière générale, cela dépendra plus du photographe que du collectif.

ODLP : Qui sont les membres du collectif ? Photographes professionnels, journalistes ? Leur activité principale est-elle en lien avec leur action au sein du collectif ?
K :
Les membres du collectif sont des photographes professionnels et amateurs. Mais aucun d’entre nous ne vit de la photo, étant donné la conjoncture actuelle. Le travail dans le collectif est avant tout bénévole et chaque rentrée d’argent est réinjectée afin de permettre son développement.

Certains sont militants dans différentes associations, d’autres non. Le collectif rassemble donc des personnes et personnalités très diverses. Ce qui nous rassemble, c’est la photographie et notre engagement derrière le mouvement social.

ODLP : C’est la passion de l’image qui vous réunit avant tout. Quels photographes regardez-vous ensemble, ou pas ?
K :
C’est assez difficile de mettre en évidence des photographes en particulier, nos goûts respectifs sont très variés. Nous nous intéressons autant aux grandes figures du photojournalisme du XXe siècle qu’à des photographes contemporains. Après, il y en a évidemment qui font l’unanimité en terme de sources d’inspiration. Il y a notamment Caron, Mc Cullin, Klein… Mais on apprécie et on cherche aussi à découvrir le travail de photographes engagés moins connus comme Gérald Bloncourt.

Il y a aussi beaucoup de collectifs qui nous inspirent tant dans leurs images que dans leur façon d’approcher leurs sujets pour n’en citer que quelques-uns : Interfoto, Fracture Photo… Et côté cinéma, les incontournables groupes Medvedkine.

ODLP : Tensions, la revue, est tirée à 500 exemplaires. Comment s’est passé le financement ? A-t-elle été entièrement financée par kisskissbankbank et d’autres donateurs ? Faudra-t-il attendre trois ans pour le numéro 2 ?
K :
Le financement s’est en effet organisé uniquement par le financement participatif.
Nous ne comptons pas attendre si longtemps avant de publier le deuxième numéro, mais le laps de temps dépendra des reportages que nous aurons la possibilité de faire, ainsi que de l’énergie dont nous disposerons pour le faire d’ici un an ou deux. En tout cas, ça ne sera pas le projet de revue qui sera le moteur de notre travail mais au contraire notre travail qui conditionnera la parution de celle-ci. Lorsqu’on a fondé le collectif, on n’avait pas imaginé que l’on serait capable de faire naître cette revue trois ans après.

www.krasnyicollective.com

 
EXPOSITION
Tensions, de Krasnyi
Les 14 et 15 mars 2015

Leskiv
57, rue Groeselenberg
1180 Bruxelles
Belgique

REVUE
Tensions
140 pages

500 exemplaires
Disponible sur www.krasnyicollective.com

 

 

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