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Paris : La guerre intérieure d’Axelle de Russé

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En février 2014, une enquête révélait les violences sexuelles faites aux femmes dans l’armée française. Pendant un an, la photographe Axelle de Russé a travaillé auprès de ces victimes brisées. Jusqu’au 25 avril 2015, La galerie des femmes,  (de L’Espace des femmes Antoinette Fouque) présente La guerre intérieure, une exposition inédite de ce travail photographique dont la direction artistique est assurée par Delphine Henry.

L’armée française est la plus féminisée d’Europe, avec 15 % de femmes dans ses rangs. Un chiffre qui pourrait faire rêver. Mais celles qui ont osé s’introduire dans le monde clos et viril des militaires payent souvent le prix fort, endurant en silence brimades, harcèlement, agressions, viols…

Il y a un an, Axelle de Russé a entamé un long travail de mise en lumière de ces itinéraires brisés. Elle est allée à la rencontre de femmes qui ont dénoncé les violences que leurs frères d’armes leur infligeaient et les a suivies dans leur intimité et leur quotidien, chez elles, dans leur caserne, avec leur famille ou dans leur solitude.

Dans cette institution où toute voix dissonante peine à se faire entendre, ces femmes sont devenues les moutons noirs de leur unité et ont été confrontées à un mur de silence et d’injustices. Bien souvent, au terme de longs arrêts maladie, elles ont fini par être déclarées inaptes au service et ont quitté l’armée par la petite porte. C’est la double peine.

Qui sont-elles ? Quels étaient leurs espoirs en s’engageant dans l’armée ? Comment ont-elles vécu cette désillusion ? Comment reconstruisent-elles leur vie ? C’est à ces questions que « La guerre intérieure » tente répondre en suivant les parcours d’une dizaine de femmes, témoignage courageux à visage découvert. Un travail inédit et poignant, indispensable pour que la honte change de camp.

Projet réalisé avec le soutien du Centre national des arts plastiques, en collaboration avec Julia Pascual et Leïla Miñano, auteures du livre-enquête La Guerre invisible.
Direction artistique de l’exposition : Delphine Henry.

Tirages réalisés par Initial (caisses américaines) et Picto Toulouse (dos bleu)

EXPOSITION
La guerre intérieure d’Axelle de Russé
Du 26 mars au 25 avril 2015
La Galerie des femmes
(Espace des femmes Antoinette Fouque)
35, rue Jacob
75006 Paris
du mardi au samedi de 14h à 19h

EVENT
Visite de l’exposition samedi 11 avril, de 14h à 16h, avec la photographe et la DA, qui vous expliqueront les démarches de ce travail au long cours, comment gérer l’impact de ce sujet délicat, et le choix de la mise en scène avec des photos collées à même le mur, un rendu un peu brut pour rappeler la violence de ce que ces femmes ont enduré sur le terrain, et des beaux tirages en caisse américaine, comme des cocons, pour saluer leur courage et leur combat; suivie d’une rencontre-débat à 16h30 avec plusieurs femmes ayant témoigné et les auteures du livre-enquête La guerre invisible.

http://www.axellederusse.fr
http://www.desfemmes.fr

Détails des légendes des images :

Le 15 avril 2014, à l’École militaire de Paris (photos 1 et 2)

Le 15 avril 2014, à l’École militaire de Paris, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, présente son plan d’action « Égalite femmes-hommes et lutte contre les harcèlements » dans les armées.
Plusieurs mesures sont annoncées ce jour là, parmi lesquelles l’inscription du harcèlement sexuel dans le code de la défense, la mise en place d’une cellule d’accompagnement interne, Thémis, qui accueillera et traitera les signalements, et la production de statistiques.
Il aura fallu attendre la publication du livre-enquête de Leïla Miñano et Julia Pascual, La Guerre invisible, en février 2014, pour que l’armée reconnaisse enfin la souffrance de centaines de femmes sous les drapeaux.
Où en est-on aujourd’hui ? Les femmes violentées ont-elles eu des réponses ? Leur statut de victime a t-il été reconnu ? Les premiers chiffres publiés par la cellule Themis prouvent que le phénomène des violences sexuelles est d’une ampleur considérable : en un an d’existence, elle a été sollicitée plus de 200 fois, et 96 dossiers ont été saisis. Mais le retour des victimes est mitigé, et beaucoup n’osent les contacter de peur des représailles. Les femmes militaires ont encore un long chemin à parcourir avant d’obtenir égalité et justice.

Seaade, 27 ans, gendarme adjoint à la brigade de Noisy-le-Roi (photos 3 et 5)

 Lors d’une patrouille de nuit en 2012, Seaade raconte avoir refusé de « coucher juste pour un soir » avec son supérieur hiérarchique, qui tentera aussi, plus tard, de s’introduire dans sa chambre alors qu’elle est dévêtue. Selon la jeune femme, le harcèlement de la part de celui-ci est permanent, les mauvaises notations s’accumulent, les accusations de prostitution également. Saisie, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale aurait reproché à Seaade d’être « trop féminine : regardez vos ongles ». Ces mêmes ongles bien faits n’avaient posé aucun problème quand, ironie de l’histoire, Seaade avait été choisie pour une affiche illustrant la féminisation de la gendarmerie. Elle se sent abandonnée par l’institution, qui va même jusqu’à défendre son agresseur. Soutenue par Anonymous et l’Association Gendarmes et citoyens, elle a porté plainte contre plusieurs personnes de sa brigade. Aujourd’hui, elle est en arrêt maladie et attend son procès. Elle a le sentiment que les rôles sont inversés et que c’est elle qui est considérée coupable par la gendarmerie. « Si c’est un crime de porter une jupe en France, alors je suis la numéro un des criminels ! »

Céline, 29 ans, ex-combattante des chasseurs alpins, armée de terre (photos 8 et 9)

Céline est la première femme et la plus jeune de sa section à intégrer les unités de combat des chasseurs alpins. Elle a alors 18 ans et son chef lui dit : « On ne veut pas de femme ici, on va te briser. Les femmes ne sont faites que pour faire la bouffe, le ménage et être engrossées. »
Pendant des mois, en « opex » (opérations extérieures), en Côte d’Ivoire et au Kosovo, elle est victime de harcèlement moral et sexuel. Les humiliations sont quotidiennes. Seule femme parmi deux cents hommes, elle subit. Remarques graveleuses, « bifles » (gifles avec la bite), coups de matraque…, certains l’espionnent sous la douche avec des jumelles infrarouges. D’autres lui volent sa caméra et se filment en train de se masturber. Ils la forcent même à se raser la tête.
La jeune femme résiste tant qu’elle peut, mais sombre peu à peu dans l’alcoolisme. Elle se fracture volontairement la main en espérant éviter une nouvelle mission, en vain.Au bout d’un an, et après une tentative de viol, elle craque et porte plainte malgré les menaces de sa hiérarchie. Elle est rapatriée en France, boit jusqu’au coma éthylique puis sombre dans la dépression.
Bien qu’elle ait gagné ses deux procès (quatre personnes ont été condamnées), ses agresseurs n’ont jamais été sanctionnés au sein de l’institution. Certains ont même été promus.
Céline souffre aujourd’hui d’un syndrome post-traumatique lié à l’agression et aux violences subies. Elle est sujette à des crises de tétanie et à des accès de violence. Mais elle se bat. Suite à la sortie du livre La Guerre invisible, elle a décidé de témoigner et, après avoir adressé une lettre ouverte à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, elle a obtenu un rendez-vous avec lui.
Céline a quitté l’armée en 2008. « J’étais prête à perdre la vie pour l’armée. C’est elle qui a pris la mienne. » Ce que souhaite la jeune femme aujourd’hui, c’est la fin de l’omerta sur les violences sexuelles, être reconnue en tant que victime par l’armée. Officiellement.

Virginie, 40 ans, ex-commissaire de la marine (photo 11)

Virginie intègre l’armée en 1998, l’année de la professionnalisation de l’institution. Elle est l’une des premières femmes commissaires de la marine. Embarquée pendant quatre ans, elles sont deux femmes pour cent hommes à bord. Harcelée sexuellement par un officier, elle se tait. Dans l’armée, on ne se plaint pas ; on résiste, pour montrer que la femme y a toute sa place. Mais le harcèlement persiste et se fait plus agressif. Un jour, l’officier la plaque violemment contre un mur et tente de l’embrasser. Elle réussit à se dégager. La nuit, il l’appelle pour la traiter de pute. Il raconte à qui veut l’entendre qu’elle est une fille facile. Elle finit par en référer à son commandant qui ne veut pas entendre parler de l’affaire.Dès lors, Virginie s’isole. Bientôt, plus aucun officier ne lui adresse la parole sur le bateau. Pendant un an, elle résiste. Jusqu’à sa nouvelle affectation. Elle quittera l’armée après la naissance de sa deuxième fille son deuxième enfant. Aujourd’hui, Virginie est en formation pour devenir professeure des écoles.

Clara, 29 ans, ex-matelot de la marine nationale (photo 12 à 15)

En 2010, en mission sur le « Foudre », Clara est agressée violemment par un marin lors d’une escale à Dakar. Elle subit aussi des attaques racistes. Sa hiérarchie, loin de la défendre, l’accuse d’avoir provoqué l’incident. Sanctionnée, débarquée, elle est mise au placard. Pugnace, elle ira jusqu’au procès. Mais les ennuis continuent : Clara est mutée. Elle fait une dépression et est réformée en 2013. Son agresseur sera finalement condamné à un mois de prison ferme. Mais elle a déjà tout perdu et vit désormais chez ses parents. Pour lutter contre le désespoir, elle a trouvé refuge dans la prière. Aujourd’hui elle cherche à se reconvertir et suit une formation d’esthéticienne.

 

Élodie, 28 ans, ex-militaire du rang dans l’armée de terre (photos 17 à 20)

Engagée en 2008 comme secrétaire au sein du régiment de Châlons-en-Champagne, Élodie a d’abord été harcelée moralement par son supérieur. Elle sera mutée de force au mess après s’en être plainte. Mais les brimades continuent. Son nouvel adjudant commence alors à lui envoyer des SMS à connotation sexuelle. Élodie n’ose pas en parler, de peur d’être punie une seconde fois. Elle raconte qu’il tentera de l’embrasser de force dans son bureau, et qu’il finira par la violer quelques jours plus tard. La jeune femme sombre alors dans la dépression, l’alcoolisme. Malgré cela, elle reste dans l’armée jusqu’à la fin de son contrat, en janvier 2013. « Ce n’était pas à moi de partir ! » Aujourd’hui, sans logement fixe, sa vie tient dans une petite valise qu’elle trimballe de foyers en maisons de repos. Avec l’aide de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), elle prépare son dossier pour porter plainte.

Valérie, 33 ans, ex-militaire du rang dans l’armée de terre (photo 22)

En 2003, Valérie a 21 ans et réalise son rêve de petite fille : porter l’uniforme. Et même si elle aurait préféré être mécano que commis d’office en cuisine, c’est avec une grande fierté qu’elle s’engage. Le rêve tourne pourtant rapidement au cauchemar : Valérie raconte avoir été violée à deux reprises. La première fois, elle n’ose pas en parler. Elle garde le silence pendant des mois, jusqu’à craquer et en référer à son adjudant, qui la convainc de ne pas porter plainte. Voyant qu’elle ne parle pas, Valérie est violée une seconde fois. Malgré les pressions de son supérieur hiérarchique, elle porte plainte. Les gendarmes lancent la procédure, les agresseurs sont placés en garde à vue. Mais elle reste interdite lorsqu’elle entend les gendarmes dire: « Que voulez-vous de plus ? Ils ont déjà été punis. Ils ont fait de la garde à vue. » Pour eux, justice a été rendue. Pas pour Valérie. Vie brisée. Dépression. Tentatives de suicide. Réformée pour infirmité. Sa plainte est classée sans suite en 2011. Aujourd’hui, loin de l’armée, Valérie tente de se reconstruire. Elle a deux enfants en bas âge, qui lui donnent la force d’avancer et de témoigner.

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