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Rencontre croisée autour de William Klein au laboratoire Picto

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Tout a commencé le soir du vernissage William Klein chez Polka Galerie en mars dernier : La variété des formats, les contrastes, la profondeur de ces noirs. Tout a contribué à nous intéresser de plus près, à ceux qui œuvrent dans l’ombre pour offrir au regardeur, au delà de l’approche esthétique , une œuvre puissante, un dosage minutieux et une interprétation exacte de ce qu’a capturé l’oeil de l’artiste.
Depuis bientôt trente ans, William Klein travaille avec le laboratoire Picto. Rendez-vous est donc pris avec ces « experts » qui subliment chaque jour le travail d’artistes réputés mais aussi d’amateurs exigeants. Et c’est dans leur antre, au cœur du quartier Bastille que nous rencontrons Boris Gayrard et Payram pour un entretien pointu mais détendu…
On l’a souvent entendu, tirer c’est comme lire une partition musicale, le photographe donne des indications tel un compositeur, et le tireur, chacun à sa manière et suivant sa sensibilité, tente de les retranscrire.
Chez Picto, pas d’opposition ni de hiérarchie entre numérique et argentique. Photoshop y est considéré comme une chambre noire à part entière où chaque partie de l’image, chaque pixel peut être interprété. La différence réside dans les papiers. Une fois le fichier calé et le papier déterminé, on aura toujours une photographie identique alors qu’en argentique, même calé, chaque image sera toujours sensiblement différente.
Mais au final, le collectionneur doit-il choisir entre numérique et argentique ? Il a surtout besoin, d’après nos experts, d’avoir en main le tirage souhaité par le photographe.

L’Oeil de la Photographie : Concrètement, quelles différences faites-vous entre  argentique et numérique ?
Boris Gayrard : Tout simplement, en argentique il n’y a qu’un process alors qu’en numérique vous en avez deux: Le lambda et le papier cartoline avec lequel on a très peu de latitude sur les textures, et les imprimantes jet d’encres avec une variété d’encres et de papiers, donc de rendus différents. Je travaille chez Picto depuis 20 ans, dont 10 d’argentique couleur. Depuis que je suis passé au numérique, je n’ai pas vraiment modifié ma façon de travailler au sens où je vais toujours réaliser des tirages de lecture pour affiner ce qu’on veut obtenir et le valider. Je n’ai plus d’agrandisseur, j’ai un ordinateur, mais la façon de travailler reste la même : couleurs, masquage, on peut aller loin mais c’est le même état d’esprit. Je me suis mis aussi  au N&B depuis 5 ou 6 ans environ. Par exemple pour l’exposition de William Klein à Londres chez Hackelbury, on a utilisé du baryté numérique parce qu’on partait de diapos des années 50/60. Elles ont une histoire. On voulait garder le rendu de cette époque mais W.Klein voulait aussi des grands formats. Aujourd’hui c’est assez simple de basculer d’un moyen de tirage à un autre. C’est assez intéressant d’ailleurs puisqu’il y a des photographes qui travaillent en numérique mais qui produisent des négatifs pour pouvoir faire des tirages argentiques. Donc on croise vraiment les technologies. Klein travaille avec Picto depuis le millieu des années 80. Dès les premiers scanners, il a tout de suite voulu voir ce que donnerait ses contacts peints en grand format.

LODLP : A quel moment intervient alors votre travail d’interprète ?
Boris Gayrard : En numérique, on va scanner par exemple une diapo. Mais scanner, ce n’est pas photocopier. Cela implique qu’on va la scanner très peu contrastée pour avoir tous les détails dans les noirs et les blancs, pour avoir un histogramme très grand. Puis on rentre tout dans photoshop, et là on travaille comme en chambre noir, c’est à dire les contrastes, les densités, la chromie, les maquillages…Le scan c’est comme un nég, c’est le master. Et c’est très drôle parce que beaucoup de personne pense que dès qu’on scanne, cela sort le travail. En numérique, on a tendance à croire qu’en appuyant sur le bouton, le travail se fait tout seul et qu’il n’y a pas d’intervention humaine, que tout se fait par automatisme. Pourtant si vous donnez 1 ekta à 10 tireurs différents, vous aurez 10 scans différents. Le langage que me tient le photographe est le même que celui qu’il tiendra à Payram en argentique. On va également avoir de la repique sur les rayures par exemple et jouer sur toutes les parties de l’image.
Payram : D’abord, je voudrais revenir sur ce qu’on a dit plus tôt, à propos de tirages argentiques réalisés à partir de fichiers numériques et transformés en négatif, je pense notamment à Salgado ou Jean Gaumy par exemple. Je pense que ce type de procédés répond plus à une exigence des marchés, des galeristes et des collectionneurs qui pour l’instant ne jurent que par le tirage argentique. Ensuite il y a aussi des photographes qui travaillent avec des boitiers très légers, en terme de rendu de fichiers et on ne pourra pas travailler à l’agrandisseur, donc on travaille à avoir un négatif 4×5 qui aura le bon grain, les bons contrastes, on pourra ensuite l’utiliser tel que et obtenir un tirage argentique. On peut dire aujourd’hui qu’on est dans des tirages hybrides.
En ce qui concerne l’interprétation, nous avons d’une part les indications du photographe mais, en plus dans le cas de Klein, par exemple, on a aussi les livres. Pour New York, sorti en 1956 en héliogravure et réédité dans les années 90, la maquette est totalement différente. Pierre-Louis Denis, son assistant en a refait tous les tirages avec des papiers différents de ceux de 56 évidemment et cette évolution du papier implique nécessairement un changement. Les papiers « vintage » étaient très riches en sels d’argent et offraient des tirages très nuancés avec une large gamme de gris. Les papiers des années 60/70  jusqu’au début des années 80  étaient très durs. Puis arrive le multigrade qui de nouveau permet une large gamme. Fondamentalement l’interprétation de W.Klein n’a pas changé, il est dans le même esprit. En revanche il va se servir des papiers et de leur potentiel, mais la direction est la même : graphique, très noir et blanc, très forte. Par exemple, la femme à la voilette, on pourrait la tirer beaucoup plus grise avec plus d’information mais lui la veut très noir et blanc, très graphique, quitte à perdre le grain de la peau. Ou encore cette photo du gamin avec le gun exposée chez Polka, elle est en grand format, très proche de ce que souhaite William même si on ne peut pas avoir exactement la même chose qu’en petit format. Ce qui compte pour lui, c’est la force et l’énergie qui émanent de la photographie. On a tellement vu cette image qu’au fond, on la connait. C’est devenu une image mentale, ou plutôt une image cumulée, même pour Klein ou Pierre-Louis. Et puis, il y a des jours avec et des jours sans et cela se ressent beaucoup dans un tirage. Parfois on sent le négatif et parfois non. C’est très présent. Il n’y a aucun tirage objectivement qui peut être bon ou pas, cela dépend de l’état d’esprit dans lequel on est quand on l’appréhende. Ce qui compte, c’est qu’il y ait une unité. Je pense qu’on la ressent dans l’exposition de Polka. Dans le cas de Klein, il y a une triple interprétation, la mienne, celle de William et celle de Pierre-Louis son assistant. Je tire le travail de William depuis les années 90 alors je pense ressentir quelque chose. Il y a une grande confiance qui s’est installée et c’est vrai qu’il ne chipote pas. Ensuite, on s’approche de la micro-chirurgie!

LODLP : Dans sa carrière, Klein a su utiliser les accidents de tirages et les a exploités, il les a même revendiqués. Aujourd’hui, en tous cas en numérique, il n’y en a plus. Alors comment fait-on ?
Payram : On va essayer de réinterpréter l’état d’esprit dans lequel il était lorsqu’il tirait. Par exemple, la bombe atomique ou les enfants sur le damier, tout cela ne pourra s’obtenir qu’en chambre noir. Mais dans ces deux cas là, quoiqu’il arrive, d’un tirage à l’autre, on sera sans doute dans le même esprit mais jamais totalement identique. A l’époque, il a mis tellement de modernité que cela tient toujours, les accidents c’est lui qui les gère. Personne ne peut le faire pour lui.
Boris Gayrard : Techniquement pour reproduire cela, on va partir d’un tirage existant, créer un fichier et pouvoir reproduire l’accident mais on ne peut pas créer l’accident, ça c’est évident. Mais je crois que ce qui est important c’est de pouvoir justement le reproduire, de pouvoir le montrer dans les musées. Ce qui est important, comme disait Payram, c’est la modernité absolue de cette photographie, de la vision du photographe. Il paraît aujourd’hui que les collectionneurs sont de plus en plus pointus, qu’ils demandent si le tirage a été fait à partir du négatif, si c’est un « vintage ». Je ne crois pas que William souhaite s’arrêter à un seul procédé. S’il peut obtenir un très beau résultat en numérique, il n’hésitera pas.

LODLP : Quelle est la photo que vous préférez ou qui vous a donné le plus de fil à retordre chez Klein pour ces expositions?
Boris Gayrard : En ce qui me concerne c’est le gun. On l’a numérisé. C’était très dur car il voulait un grand format en partant du négatif original…le grain n’est pas le même. Pour parler purement technique, on l’a tiré sur du lambda carto mais je continue de penser que si on l’avait tiré sur une epson, on aurait sans doute eu plus de richesse dans les gris…Je reste persuadé que cela aurait été plus proche de l’argentique, et en jet d’encre c’est beaucoup plus riche. Ensuite j’ai travaillé il y a quelques années sur une expo pour la Tate pour laquelle j’ai réalisé les tirages « Abstrait ». C’est vrai que c’était très nouveau pour moi, je ne connaissais pas du tout cet aspect du travail de Klein. Quand on les a tiré en grand, en 1,60x 2,50m c’était incroyable. 

Payram : Pour moi, c’est très sentimental, c’est la photo de l’affiche à Tokyo, le « cineposter ». Je l’ai vu dans un magazine à 13 ans et je pense que c’est ce qui m’a fait aimer la photographie. Le jour où j’ai eu en main le négatif, cela m’a fait un vrai choc. C’est vrai qu’à chaque fois cela me fait quelque chose. C’est une image pourtant extrêmement simple. Tout dépend des émotions que l’on ressent. On peut réaliser des tirages mécaniquement, cela peut être mathématique. On n’est pas toujours dans un esprit créatif, parfois on est très basique. Si on me demande de retirer du contraste, j’enlève du contraste. C’est assez simple…mais il peut aussi y avoir des moments de grande émotion comme avec cette photo de « cineposter ».

LODLP : Faites-vous une différence entre un tirage muséal qui a vocation à entrer dans une collection publique et un tirage pour galerie qui sera vendu à un collectionneur ?
Boris Gayrard : A partir du moment où il est validé par le photographe, le tirage qui sort de chez Picto rejoint sa destination mais nous ne travaillons pas en fonction de celle-ci, ce n’est pas quelque chose que nous prenons en compte. Pour chaque tirage, on sort le meilleur de nous-même.

LODLP : C’est donc cela la « Picto touch » ?
Payram : Je pense qu’il est important de rappeler ce qu’est Picto pour qu’on comprenne bien de quoi on parle. Pierre Gassmann le fondateur était très proche de Magnum. Ces deux entités sont nées pratiquement au même moment. Pierre Gassmann a éduqué son regard dans l’alignement de ces photographes et l’a intégré au laboratoire. C’était une personnalité très forte. Ensuite chaque tireur apporte également une touche personnelle. Aujourd’hui, il y a des photographes qui viennent aussi pour nous parce qu’on apporte un regard personnel, on leur apporte de la distance, de nouvelles possibilités. On peut les conseiller, comme disait Boris, sur les papiers, tons chaud, tons froids etc. Aujourd’hui, il y a les tirages hybrides, argentique à partir de fichiers numériques et inversement. Le tirage c’est la finalisation de la photographie. C’est ce qui restera en contact avec le regardeur qui vient le voir en galerie ou au musée. C’est extrêmement important. Il y a 40 ans, les photographes savaient faire les tirages, aujourd’hui ce n’est plus le cas, donc nous apportons une expertise et un savoir-faire, non pas disparu, mais en tous cas beaucoup moins utilisé chez la jeune génération.

EXPOSITIONS
-Tokyo 61+ William Klein
7 mars – 9 mai 2015
Polka Galerie
12 rue St Gilles
75003 Paris
France
http://www.polkagalerie.com
-William Klein+Brooklyn
Du 19 mars au 2 mai 2015
Howard Greenberg Gallery
41 East 57th Street, Suite 1406
New York, NY 10022
USA
http://www.howardgreenberg.com
-Black and Lights
William Klein
Du 3 mars au 11 avril 2015
Hackelbury Fine Arts
4 Launceston Place,
Londres W8 5RL
Royaume Uni
http://www.hackelbury.co.uk

INFORMATIONS
Laboratoire Picto
53bis, rue de la Roquette
75011 Paris
France
http://www.picto.fr

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