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Mort de Lars Tunbjörk ( 1956 – 2015 )

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L’œuvre des vrais artistes leur ressemble profondément. Jusqu’au bout, parfois. C’est ce que l’on se dit aujourd’hui, une fois encore, en apprenant la disparition prématurée de Lars Tunbjörk, à l’âge de 59 ans.
Comme tant d’autres dans cette génération, il commença par travailler pour la presse quotidienne, en noir et blanc, avec un regard acéré, un sens ludique de la composition, de l’anergie et un sourire apparent face aux situations qu’il surprenait au coin du rue ou dans un paysage. Les anecdotes visuelles réunies en 1987 dans le petit livre Photography Unbounded disent pourtant, déjà un monde inadapté : qu’adviendra-t-il du petit garçon de la couverture, oiseau malhabile et gracieux dont la veste trop grande entrave la marche ?

Pendant ce temps, accompagné de quelques complices dont Greger Ulf Nilson, qui deviendra plus tard son complice pour composer de remarquables livres, il regarde la photographie américaine. Et, essentiellement, cette photographie couleur qui change les enjeux d’une pratique jusque là limitée de façon utilitaire à la presse magazine. Sa compréhension profonde de cette situation sera son point de départ et c’est la couleur qu’il va explorer comme un outil, parfois vénéneux, pour inciser le monde qui l’entoure. Et il s’impose incontestablement comme l’un des plus importants photographes européens de la couleur, largement suivi, depuis plusieurs années, par des plus jeunes, scandinaves, allemands, britanniques qui ne sont pas toujours mus par la même radicalité, ni par le même abattement face à l’état de la société.

Ses livres sont des repères et font date. La plupart labourent une Suède désespérante à force d’incohérences, de blocages, d’impossibles qu’il saisit toujours avec un apparent détachement humoristique. Quand paraît en 1993 Landet utom sig bilder fran suerige, son premier portrait de la Suède, chez Journal, on perçoit immédiatement ce ton critique, acerbe, porté par des coups de flash qui exacerbent la couleur, qui affrontent l’espace, on sait immédiatement qu’une écriture s’affirme. C’est sur la base de cet opus qu’il rejoindra l’Agence VU’ puis deviendra un des artistes de la galerie du même nom.

I Love Boras ( Steidl, 2007), du nom de sa ville natale dont il dresse le portrait implacablement médiocre  en réunissant des années de cueillette à chaque retour, Vinter ( Steidl, 2007), le plus sinistre peut-être en ambiance, dans ces nuits interminables de neige, d’alcool, de renfermement sur soi qui guettent le scandinave un peu fragile – ou trop sensible -, Home (Steidl, 2003), qui, de zones pavillonnaires jouxtant des ronds-points incompréhensibles en intérieurs uniformisés IKEA au « confort » toujours un peu déglingué s’attaque à la caricature – celle que construisent les gens, Lars ne forçait pas le trait, il choisissait un point de vue – de l’idéal petit bourgeois, Dom alla ( Journal, 2005), radical de gros plans et de portraits serrés, de coups de flashs et d’absence d’expression figent sa vision de la Suède. Qui, hélas, ne pourrait bien être qu’un exemple, pratique parce que proche, d’un état du monde contemporain majoritaire.

C’est uniquement pour Office ( Journal, 2002), qu’il fait une manière de tour du monde des univers de bureaux. Il n’avait pas obtenu suffisamment d’autorisations en Suède pour récolter assez d’images. C’est peut-être son travail le plus connu, par forcément le plus profond, mais incontestablement immédiatement accessible tant se succèdent d’invraisemblables situations  aberrantes. Il ne faut pas s’arrêter aux anecdotes folles mais bien regarder la sinistrose absolue des couloirs moquettés de gris, des open spaces devenus impraticables, des enchevêtrements asphyxiants de fils électriques et câbles informatiques : un enfer absolu.

Lors des nombreuses expositions de Lars Tunbjörk, on observait toujours, chez le spectateur, le même fonctionnement. Dès l’entrée chacun souriait, s’amusait face à chaque anecdote graphique, face à l’incongruité. Puis, peu à peu, le sourire s’effaçait, la fatigue se faisait jour, jusqu’à l’accablement, jusqu’à la déprime.

Derrière ses couleurs questionnant toutes facettes de la photographie documentaire suintait une inquiétude profonde, la perception d’un monde dangereux.
On a le sentiment que c’est ce qui s’est passé : fatigue, dépression, problèmes personnels, plongée dans la dépression puis, aujourd’hui, terriblement, plus rien.

Christian Caujolle

Voir le film réalisé par Pierre Maïllis Laval (Agence Vu et la Femis)
Lars Tunbjörk, Beyond Backstage :

https://www.agencevu.com/photographers/photographer.php?id=80

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