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Niger : Koudjina en héritages

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J’étais à Niamey fin mai 2014 au moment de la mort du photographe nigérien Philippe Koudjina Ayi. Il avait 75 ans. J’avais souvent entendu parlé de lui sans jamais l’avoir rencontré. J’ai assisté à ses obsèques religieux le 2 juin 2014. A la sortie du cimetière chrétien de Niamey, tous les photographes de la place étaient là. Silencieux. Dignes. Je les connaissais presque tous pour les avoir encadrés en 2012 à 2013 lors de deux workshops successifs au Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch. Tous avaient croisé un jour la route de Philippe Koudjina Ayi, photographe de l’indépendance du Niger devenu handicapé et presque aveugle vers la fin de sa vie. Nous nous promettons d’honorer sa mémoire. Mais comment ?

Célèbre chroniqueur des nuits folles à Niamey dans les années 60 et 70, Philippe Koudjina Ayi est l’auteur d’une oeuvre remarquable, en partie occultée par la notoriété croissante des photographes maliens tels que Malick Sidibé ou Seydou Keïta.

Je suis revenu au Niger en février 2015  dans le cadre d’un nouveau projet mis en place en étroite collaboration avec plusieurs partenaires dont l’association Contrechamps, le centre culturel franco-nigérien Jean-Rouch, Leica et la coopération suisse : rendre un hommage inédit à ce grand photographe méconnu en accompagnant pendant quinze jours une sélection de jeunes photographes nigériens. Durant ce workshop inédit, chaque stagiaire a produit une série autour d’un thème traité à l’époque : les fêtes, le monde de la nuit, les moments de bonheur partagé, le portrait en studio,… Chaque série ainsi réalisée constitue à la fois un hommage singulier à Philippe Koudjina Ayi et un regard d’auteur sur les multiples facettes du Niger contemporain : «Totems» (Apsatou Bagaya), «Les nuits d’Oumarou» (Oumarou Kadry), «Monolithes» (Souley Abdoulaye), «Niamey blues» (Dourfaye Zourkalleyni), «Faces» (Tagaza Djibo) et «Rythmes urbains» (Ousmane Ibrahim) sont autant de témoignages affectifs et engagés de la part de la jeune génération envers le père de la photographie au Niger.

Je ne sais pas si Philippe Koudjina Ayi aurait apprécié cet hommage. Mais je suis certain qu’il aurait été fier que l’on parle de son pays et de la photographie nigérienne, lui qui est encore, à ce jour, le seul photographe du Niger à avoir vu ses oeuvres projetées à la biennale de la photographie à Bamako.

TOTEMS par Apsatou Bagaya

Les portraits d’Apsatou Bagaya sont d’une étrangeté déconcertante. Ils nous interrogent sur la nature même du sujet photographié. Pourtant, même si les visages et les corps sont cachés au regard du spectateur, ces portraits décontextualisés racontent une histoire bien singulière, celles de jeunes étudiantes nigériennes, photographiées chaque matin sur le campus de l’Université Abdou Moumouni à Niamey. En recréant les conditions d’un studio photographique in situ, Apsatou nous propose un arrêt sur images inédit sur les modes de représentation de la femme nigérienne contemporaine à un moment où ce pays sahélien est traversé par de nombreuses tensions sociales et religieuses.

LES NUITS D’OUMAROU par Oumarou Kadry

Philippe Koudjina Ayi était le célèbre chroniqueur des nuits “folles” à Niamey dans les années 60 et 70. Cinquante ans plus tard, Oumarou Kadry, écrivain et scénariste, adepte de la Street Photography, revisite à sa façon la vie nocturne de Niamey en associant flous évanescents, formes improbables et couleurs suggestives.

MONOLITHES par Souley Abdoulaye
Frontalité et netteté sont les deux mots d’ordre de Souley Abdoulaye dans cette série intitulée «Monolithes». Il photographie, sur le mode de l’inventaire systématique (même cadrage, même distance au sujet),  les nombreuses carcasses de véhicules en tout genre, abandonnées dans les quartiers périphériques de la capitale : automobile, camion, tracteur,… proposant ainsi un regard décalé à la fois sur le quotidien de la population et son espace environnant. A y regarder de plus près, le propos du photographe est bien plus précis encore. En photographiant systématiquement les carcasses en état de décomposition avancée, à mi-chemin entre abandon et revisitation par les actions conjuguées de l’Homme et de la Nature, Souley nous propose une chorégraphie urbaine improbable. Chaque photographie est le constat d’une performance visuelle, le tableau vivant d’une réalité urbaine marquée par l’emprise du temps. Le temps qui déforme la matière et détourne les formes géométriques de leur sens originel. En adoptant les codes de la photographie de paysage et de patrimoine, la série «Monolithes» nous invite à nous questionner sur le temps qui passe.

NIAMEY BLUES par Dourfaye Zourkalleyni

«Niamey Blues» est un voyage unique au coeur de Niamey, au coeur de la nuit. Peu ou prou de présence humaine mais quelques silhouettes à connotation iconique. Les photographies de Dourfaye sont floues pour la plupart. Peu importe car le propos n’est pas de restituer fidèlement l’architecture débridée ou l’agitation urbaine de Niamey mais d’en proposer un regard subjectif dans une sorte de temps suspendu. Dourfaye nous laisse deviner la ville où il a grandi et où il vit aujourd’hui. Il photographie le réel pour mieux en proposer une vision irréelle, sensible et distanciée. Il photographie comme il vit. A l’instinct. Cette série s’inscrit pleinement dans la grande famille des photographes au regard d’auteur. Suggérer à défaut de vouloir tout montrer. Donner à voir. Une invitation aux rêves.

FACES par Tagaza Djibo

La série «Faces» est une déclaration d’amour à la femme nigérienne. Tagaza Djibo nous en montre la subtile beauté à travers le filtre du voile religieux, à la fois frontière interdite et sujet de toutes les curiosités. Dans un face-à-face frontal et respectueux, son regard focalise sur les visages, représentés partiellement ou en totalité. Pas totalement net, pas réellement flou, ces portraits atemporels, interrogent autant l’existence même de ces femmes que leur anonymat dans la sphère publique.

RYTHMES URBAINS par Ousmane Ibrahim

Serait-ce les pas d’un géant ? Cette série «Rythmes urbains» réalisée par Ousmane Ibrahim nous interpelle au premier regard. Où suis-je ?. Nous n’avons pas l’habitude de voir la ville de cette manière. Vu du sol, le monde est différent. Ousmane nous en propose ici quelques extraits tels les morceaux choisis d’une chorégraphie urbaine encore incomplète. Il nous montre Niamey comme personne l’avait dévoilé avant lui. En assumant un point de vue photographique fort et singulier, il revisite chaque geste de la vie quotidienne avec malice et audace.

Membre de l’agence Myop depuis 2009, Philippe Guionie est représenté par la galerie Polka à Paris.

EXPOSITION
Koudjina en héritages
Du 9 mai au 20 juin 2015
Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch
Niamey – BP 11413
Niger
Vernissage vendredi 08 mai à 18h30

www.ccfnjeanrouch.org

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