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Pierre de Fenoÿl, vu par 3 amis photographes : Kalvar, Plossu et Requillard

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Fraichement arrivé à Paris, j’ai rencontré Pierre de Fenoÿl en 1970. Quelqu’un à qui j’ai montré mon portfolio m’avait envoyé le voir. J’avais 26 ans et Pierre 25. Je le prenais pour un homme plus âgé, avec sa belle cravate, son costume élégant et son gros cigare. On s’est bien plu mutuellement tout de suite, et on est devenus amis intimes.

Pierre avait un des meilleurs regards sur la photographie que j’avais jamais rencontré. Il comprenait la photo, il la sentait, il l’aimait. Je n’ai pas la moindre idée sur la source de sa passion et de son talent; il n’est pas sorti d’un milieu spécialement tourné vers la photographie, ou l’art en général. Il avait travaillé dans les archives de Magnum, surtout avec les images de Cartier-Bresson, une expérience qui a sûrement aidé son développement. Il prenait également des photos lui-même, plutôt bonnes, sur lesquelles il n’avait aucune prétention.

Quand on s’est rencontrés, Pierre dirigeait une petite agence/galerie qui s’appelait Vu, propriété d’un éditeur suisse. J’y étais rapidement et tacitement co-opté, comme William Klein, Guy Le Querrec, Claude Raymond-Dityvon, Martine Franck et d’autres. Chacun avait son rapport particulier avec l’agence. Apparemment Pierre a failli réussir à séduire HCB aussi, à un moment où ce dernier avait quelques difficultés avec Magnum. Pendant les années qui ont suivi on a tout fait ensemble, avec la même bande d’amis. Pierre était chaleureux, sophistiqué et drôle, et un bon vivant sympathique. On allait plusieurs fois en Bretagne voir sa famille. C’était une de mes meilleures introductions à la France.

En 1975 j’ai rejoint Magnum, et je suis retourné vivre à New York, alors il y eu une interruption dans notre amitié pendant deux ans. Quand je suis revenu en France, Pierre travaillait au département photo du Centre Pompidou, et dirigeait le nouveau Centre National de la Photographie. C’était un boulet parfait pour lui, où il pouvait mettre ses idées sur la photo en pratique, en créant une vraie présence française dans le milieu international de la photographique.

A mon retour d’un autre long séjour à New York à la fin des années 70, les choses commençaient à se passer moins bien au Centre National. Il paraît qu’il y avait beaucoup de conflits, de pressions politiques et de sales coups. Pierre devenait de plus en plus frustré, et quand on à décidé de déplacer le Centre à Lyon contre son désir et son avis, il est parti. Avec une jeune femme et une petite fille à la maison, et des espoirs déçus, il est devenu amer et aliéné, d’abord contre la scène parisienne photographique, et puis contre l’évolution de la France et du monde en général. Les conversations avec lui devenaient moins intéressantes, des tirades tendancieuses et sourdes  plutôt que les riches échanges du passé. Je n’arrivais pas à percer le mur qu’il avait construit autour de lui; il était devenu une sorte d’idéologue politique avec une philosophie qui me mettait mal à l’aise. En 1982, après un éloignement qui avait duré un certain temps, nous avons déjeuné ensemble, les retrouvailles de deux vieux amis. Mais peu à peu la discussion a commencer à dégénérer, et à la fin j’ai dû entendre une furieuse litanie d’accusations, à la fois politiques et personnelles, qui m’ont profondément secouées. Je suis parti, tremblant, et je n’ai jamais revu Pierre.

Paradoxalement, la période qui a suivi – l’auto-exil au sud de la France, l’amertume, l’oisiveté – a été la plus riche pour Pierre photographiquement, quand il a vraiment développé sa vision artistique. Il a recyclé ses souffrances dans ses photos. Je suis triste de ne pas avoir pu la partager avec mon vieil ami, de ne pas avoir pu revoir l’étincelle d’autrefois dans ses yeux.

Richard Kalvar, Mai 2015.

Dans les années 70, il règnait une effervescence en photographie contemporaine qui donnait une ambiance de créativité utile et passionnée afin de changer le paysage classique de la photographie! De tous cotés, aussi bien les « reporters »,  souvent en agences, comme Le Querrec, Kalvar, Minassian, Peress, Martine Franck et bien d’autres, que les auteurs indépendants qui voulaient s ‘ exprimer comme Descamps, Kuligowsky, Bruno (Requillard), Monique Tirouflet, Mireille Dupuis, Boudinet et tant d’autres, commençaient à montrer leurs images. Ils le faisait dans les revues « Contrejour » de Claude Nori, « Le Nouveau Photo cinéma » de Goerges Bardawil, « les éditions Photoeil » du grand Alain Fleig, ou le sublime « Camera » d’Allan Porter, qui tissa le lien entre l’ Europe et les USA, puis plus tard dans « Les Cahiers de la Photographie » de Gilles Mora accompagné de beaucoup de critiques chevronnés et j’ en oublie . Ils le faisait aussi dans des galeries et institutions, notamment avec l’aide immense de « Monsieur Lemagny  » à la B.N., et de Jean Claude Gautrand, qui nous recevait tous, regardant ce que nous faisions avec une généreuse attention. 


Dans ce contexte, l’idée d’une exposition itinérante de 3 photographes aux langages variés fut une formidable initiative de Pierre De Fenoÿl, grand connaisseur de la photographie contemporaine en complicité avec Alain Sayag au centre Georges Pompidou. Ce fut un intermede formidable,  et une chance de montrer cette créativité dans l’air du temps en photographie dans d’ autres pays, en voyage de par le monde. Dans le même temps, n ‘oublions pas que la même chose se passait en Italie avec « Progresso Fotografico » et « Fotografia italiana », en Yougoslavie avec « Spot », en Angleterre avec « Creative Camera », grace à Bill Jay  puis à Peter Turner, et davantage en Espagne avec la formidable revue révolutionnaire « NUEVA LANTE » de Carlos Serrano et Pablo Perez Minguez. En fait, l’ Europe se réveillait et voulait montrer que la photographie contemporaine n’ était pas que « américaine ». Et cela, même si la photographie américaine en question était formidable, nous en sommes tous d’ accord . 
L’ idée de DeFenoÿl de faire ainsi un dépliant des 3  » jeunes  » auteurs fut graphiquement une idée de génie, car cette présentation se prêta parfaitement aux images qui ainsi se déroulaient avec modernité, au service du propos. Que Pierre en soit remercié, il nous manque beaucoup.


Bernard Plossu Mai 2015.


C’est en voyant dans des magazines américains les photos de Lisette Model (Nice) William Klein (Tokyo), Bill Brandt et Henri Cartier-Bresson (le Géométrie) que j’ai eu envie de commencer à photographier.
 A part quelques photos de « quatre » héros, je n’avais aucune culture photographique.
 Vers 1970-71 j’ai rencontré Pierre – il dirigeait l’agence Vu- j’y allais tremblant avec un carton de diapositives. J’ai tout de suite senti un « allié ». Il m’intimidait, malgré sa sympathie et ses encouragements. Je ne me souviens de rien d’autre ! – juste un bon feeling. 
Le contexte photographique n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui – c’est simple, il n’y avait rien, ce qui donnait une grande liberté (ni galeries*, ni musées de la photographie, peu de livres. Les revues s’intéressaient plus au matériel qu’à l’image.) 
Notre génération voulait autre chose sans savoir le définir.
 Pierre a été très important pour cela. Alors que la photographie humaniste régnait il a montré cette formidable exposition : « Burk Uzzle, Les Krims, Duane Michals ». 
En 1975, le centre Pompidou était en construction. Pontus Hultens son directeur l’avait chargé d’organiser une exposition qui circulerait en Europe. Il a choisi Richard Kalvar, Bernard Plossu et moi. « Une photographie sans mobile apparent » comme il l’écrivait dans le catalogue/dépliant.
 Peu de temps après, il m’a proposé d’exposer dans la mezzanine consacrée à la photo au Musée National d’Art Moderne. Le choix des photographies se faisait simplement et rapidement.  Il voyait très vite l’essentiel – ce qui est rare – on s’entendait bien, avec peu de mots. Pendant ces quelques années où l’on s’est cotoyés, jamais il ne m’a parlé de ses photographies. Je ne l’avais jamais vu avec un appareil photo!
 Un jour, il m’a appelé pour me proposer de passer au centre Pompidou. On s’était donné rendez-vous au rez-de-chaussée (il me semble dans l’espace qui est devenu la librairie).
Il m’avait dit : « Je voudrais te montrer quelque chose ». En arrivant je l’ai vu en train d’accrocher des photos d’Egypte – magnifiques – je lui ai demandé : « Mais qui a fait ça ? » « Eh bien c’est moi ». J’étais stupéfait et très admiratif.
 Sa discrétion, sa modestie mais aussi ses avis tranchés me plaisaient. 
On s’est revus quelques années plus tard. Il voulait éditer des portfolios en phototypie et me proposait de venir voir la qualité de ce qu’il obtenait. 
En le quittant, sur le trottoir des Gobelins, je me suis retourné, il m’a fait un signe. (Il venait de m’offrir un de ses tirages – un pied Egyptien). Et c’est la dernière image que j’ai de lui : sa présence émouvante de petit lutin mystérieux sur ce trottoir. 
Quand je pense à lui, c’est cette image qui me revient parfaitement. Je le vois. C’est difficile à décrire mais ça me touche énormément.




*Au rez-de-chaussée de l’immeuble de la rue du Cherche-midi où était VU, il y avait une salle d’exposition. La galerie de tapisserie « La demeure » place Saint-Sulpice présentait parfois des photographies (Atget, Sudre, Sieff). 



Bruno Requillard Mai 2015

EXPOSITION
Pierre de Fenoÿl (1945-1987). Une géographie imaginaire
du 20 juin au 31 octobre 2015
Jeu de Paume –
Château de Tours

25 avenue André Malraux
37000 Tours
France
Tél. : 02 47 21 61 95
Horaires : du mardi au dimanche
de 14h à 18h
Entrée gratuite
http://www.jeudepaume.org

A VENIR
Pierre de Fenoÿl Paysages conjugués
du 5 septembre au 31 décembre 2015
Galerie Le Réverbère

38 Rue Burdeau
69001 Lyon

France
Tél. : 04 72 00 06 72
http://www.galerielereverbere.com

LIVRE
« Pierre de Fenoÿl. Une géographie imaginaire »
Textes de Virginie Chardin, Jacques Damez, Peter Galassi.
Éditions Jeu de Paume / Xavier Barral.
240 pages, format 24 x 28 cm à la française
144 photographies et illustrations
Prix : 50 euros.
ISBN : 9782365110730
http://exb.fr

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