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Paris : Le Léthé de Yann

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Le photographe Yann Datessen expose actuellement sa série photographique « Léthé » tout le long du canal de l’Ourcq, à Paris. Les tirages sont suspendus, sur les ponts du canal ou encore sur les portes des écluses donnant vie au célèbre fleuve mythologique. L’artiste nous parle aujourd’hui de cette série et du chemin qu’il a parcouru pour réaliser cette installation jusqu’aux réactions des « visiteurs »… Cette exposition est visible jusqu’au 18 octobre prochain et les tirages ont été produits par le laboratoire Picto.

Le Léthé, du nom de cette série, est l’un des fleuves de la mythologie grecque qui sépare les enfers du règne des mortels. On dit que boire une gorgée de ses eaux efface toute mémoire, tout souvenir des siens. Si la photographie est faite pour parler de « traces » alors moi j’ai voulu dérouler celles qui me restaient d’une histoire douloureuse sur la longueur d’un lieu d’eau. Pour jouer avec les reflets avant tout, le reflet de mes images dans l’onde, pour actualiser sans cesse le miroir entre fiction et réalité, en profiter pour dire que le fleuve dans lequel on ne se baigne jamais deux fois reste pourtant toujours le même.

Le Léthé est le premier chapitre d’un travail en trois parties qui sera suivi d’unAchéron et du Styx, deux autres fleuves allégoriques souterrains. L’ambition de ce projet est de penser des images dans la perspective d’une « installation », in situ comme on dit, pas tant pour s’improviser street artiste mais plutôt pour se rapprocher de l’esprit du land art : s’inscrire dans le réel, le modifier un bref instant, se mêler aux hasards des regards de passants et court-circuiter les modes de diffusion classiques. Voilà ce que je couchais sur le papier en guise de vœux pour plus tard. Dans la réalité tout cela eut un prix…

Tout d’abord, il fallut environ deux ans pour obtenir toutes les autorisations nécessaires : « on expose pas comme ça dans la ville », ce que l’on m’a dit dans les bureaux pour jauger ma motivation. Soit. A qui faut-il demander ? Commencer par une Mairie, expliquer, convaincre, parler d’art en temps de crise… Puis l’administration, celle de Kafka, un Léviathan pour un léthé, quoi de plus normal après tout : préfecture de police, service de communication de la ville, service de la voirie, service des canaux, de la police fluvial, à quoi il faut encore ajouter les organismes indépendants propriétaires des lieux choisis : sncf, edf etc… Deux ans donc. Vient le grand jour de l’installation. Louer un grand camion, demander aux amis de se lever un samedi matin, dégoter un cordiste, penser à assurer tout son monde. Le grand jour il pleut, un vrai déluge, une partie de l’équipe des amis reste au lit pensant que l’autre se lèvera, en attendant 85m2 de bâches et de Dibond attendent sous la douche de Septembre. Pas grave : rattraper le retard et ajouter un dimanche au samedi pour tout accrocher. Après 48h sous la pluie, les vents, le froid, nous sommes Lundi, l’heure d’en profiter pensais-je, erreur : une tempête s’abat sur Paris, mettant à terre la moitié de l’exposition. Il faudra une semaine entière pour tout réparer.

Le week-end dernier il faisait beau, j’ai voulu contempler mes efforts, enfin. A ce détail près que d’une exposition publique l’on se doit de jouer le jeu des regardeurs, celui de la confrontation avec les autres, tous les autres et pas seulement ceux qui aiment les images… Ceux-là ont la délicatesse de sourire avec les yeux, déambulent et me remercieront d’un silence bienveillant, je suis un anonyme parmi eux. D’autres, ceux que j’ai dérangés, vont jusqu’à me retrouver sur les réseaux, pour m’insulter, me dénigrer, d’autres encore profitent de ce que je suis parfois sur les lieux pour nettoyer tags et coupures pour m’aborder : « ça veut dire quoi ? », la question m’est posée à froid, le ton est inquisiteur, souvent, curieux et innocent plus rarement, et moi d’expliquer les épaules basses : « c’est un itinéraire photographique qui commence là et finit là, ça raconte l’histoire d’un couple mais on pourrait aussi dire que, etc…», les explications ne suffisent pas : « ok, ok mais sinon : ça veut dire quoi ? », et pendant que je réponds aux sceptiques il arrive aussi que des iconophobes, des vrais, s’attroupent, me toisent, et finissent par lancer : « c’est vous « l’artiste » ? heu oui… Je voulais vous dire : c’est honteux monsieur, qui vous a permis ? un véritable scandale, virez-nous ça de là et séance tenante! ».

Je voulais voir mes songes se refléter dans la réalité, comme un miroir tendu entre tangible et fuyant, trace et oubli, air et eau, land et art ; avec les rafales de vent sur Paris, les nuits noires où personne ne les surveille, peut-être que quelques uns en auront profité pour échanger de place. Le Léthé est ce fleuve des enfers de la mythologie grecque.

Yann Datessen
EXPOSITION
Le Léthé
Yann Datessen
Du 13 septembre au 18 octobre 2015
Le long du Canal de l’Ourcq
75019 Paris
France
Les tirages ont été réalisés par le laboratoire Picto
http://yanndatessen.fr

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