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La mariée était un scoop

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En France, le mariage a encore de beaux jours devant lui  : ­durant l’année 2014, près de 240 000 couples se sont dit « oui », selon les chiffres de l’Insee. Dans la plupart des cas, l’union donne lieu à une cérémonie, derrière laquelle prospère un véritable marché. Un business, avec ses modes, ses produits phares et son grand rendez-vous parisien  : un Salon entièrement consacré à ce thème, qui se tient cette année les 26 et 27 septembre. Parmi les ingrédients indispensables à la fête, il en est un qui a au moins autant d’importance que la pièce montée ou les dragées, c’est la photographie. Or, la photo de mariage, qui existe ­depuis la fin du XIXe siècle, a changé à ­mesure que le mariage lui-même se transformait. A partir des années 1970, sa forme conventionnelle a évolué en même temps que le modèle familial, et le mariage n’est plus un passage obligé. Progressivement, les couples ont voulu que les liens affectifs transparaissent dans les images, privilégiant les clichés spontanés aux « tableaux » figés. Aujourd’hui, ce goût pour le mouvement est encore accentué par l’apparition, sur ce créneau, de photojournalistes qui posent un regard nouveau sur ce rituel.

Début septembre, durant le festival de photojournalisme Visa pour l’image, qui a lieu chaque année à Perpignan, la Société ­civile des auteurs multimédia (SCAM) a ­révélé qu’un nombre croissant de ses membres se sont mis à photographier des mariages. Confrontés à une baisse de leurs revenus en provenance de la presse, ces professionnels se tournent, bon gré mal gré, vers un type d’activité très éloigné de leur travail d’origine, et longtemps méprisé. Du point de vue des couples qui les choisissent, ce choix répond à la volonté de donner une image plus moderne de la cérémonie.

Construire sa propre ­légende

«  Le mariage n’est plus la condition sine qua non pour créer une famille, estime la sociologue Irène Jonas dans La Mort de la photo de famille ? De l’argentique au numérique (L’Harmattan, 2010). Il a en partie perdu sa dimension formelle pour devenir quelque chose de plus individuel. Cet ­engouement pour le photojournalisme de mariage permet de gérer une contradiction  : d’un côté le mariage, ce rituel très normé ; de l’autre, quelque chose de très personnel.  » Chacun doit se constituer sa propre légende. Du coup, la façon dont sera photographié l’événement compte beaucoup pour les futurs époux. Ils immortalisent ce jour pour garder un souvenir, ou transmettre une part d’histoire familiale, mais pas seulement. Ainsi, selon la sociologue, certains glissent vers une production d’images à usage essentiellement intime.

Pour ceux-là, fini les poses classiques et convenues. Les longues tablées animées deviennent le nouveau champ de bataille de photographes qui passent de l’actualité, voire des théâtres de guerre, au lancer de bouquet de la mariée. Car la demande ­évolue. Pierre Morel fait partie de ces ­photojournalistes qui ne dédaignent pas les robes blanches. En même temps qu’il travaille pour différents titres de presse, il passe ses mois d’été à écumer les mariages. «  Les couples cherchent des professionnels qui travaillent discrètement, rapidement, explique-t-il. Ce que je leur propose, c’est de construire une histoire, des préparatifs ­jusqu’au soir, comme dans un reportage. Je leur dis  : “Le sujet, c’est vous !” » De son côté, Christophe Viseux, qui se partage entre le documentaire et les mariages, remarque que les photos à la sortie de l’église ou les images de groupe ont moins de succès.
Encore faut-il convaincre les mariés de ne pas se laisser happer par les stéréo­types. Franck Boutonnet, cofondateur du collectif lyonnais de photographie documentaire Item, a gagné de nombreux prix pour ses photos de mariage (le magazine italien Just Married le classe même, en 2010, dans le Top 5 des photographes de mariage à l’échelle mondiale). Il déplore et refuse une certaine forme de standardisation des images, conséquence de la popularité des blogs spécialisés ou des revues qui restent une source d’inspiration des mariés pendant les préparatifs. «  Ils veulent retrouver l’iconographie qu’ils ont aperçue ici ou là, les détails du décor, des serviettes, des assiettes…  » Reproduire des photos peut les rassurer, leur donner l’impression d’appartenir à un groupe.

Car la volonté de sortir des sentiers battus n’est pas forcément une tendance majoritaire. Professeur à l’université de Nantes et auteur de La Photographie, un miroir des sciences sociales (L’Harmattan, 1996), le ­sociologue Sylvain Maresca a interrogé de nombreux photographes de mariage. Selon lui, les goûts en la matière restent largement conventionnels. «  Les gens qui se ­marient aujourd’hui attendent encore ­souvent quelque chose de solennel  », affirme-t-il. Dans le cadre d’une cérémonie classique, les images doivent retranscrire l’univers fantasmagorique du mariage et sont ­davantage inspirées par les cérémonies princières diffusées dans les magazines que par les images de type photojournalistique. Une iconographie classique, pour des images destinées à rester. Plus longtemps, bien souvent, que le mariage lui-même.

Article publié dans Le Monde, le 24.9.15
http://www.lemonde.fr

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