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Paris : J.P. Laffont, une passion

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Toute actualité brûlante révèle souvent dans l’effet –miroir de son éruption spontanée–une génération de photographes, étonnants voyageurs et vulcanologues du moment. Ils seront demain les historiens de la mémoire imagée de notre monde «working in progress». Pour nous léguer en précieux héritage toutes les ‘Tumultueuses Amériques“ vécues.

De Guernica à Londres ou Stalingrad ou Berlin, de New-York, Washington, Saïgon, à Kabul, Bagdad, Jérusalem ou Alep ou Gaza, à Détroit comme à Luanda, – sur tous les continents sont sortis de l’anonymat : les Dorothea LANGE, Margaret BOURKE –WHITE, Robert CAPA, Larry BURROWS, CARTIER BRESSON, William EUGENE SMITH, Sébastião SALGADO, James NACHTWEY, William KLEIN , … La liste serait trop longue. De dépression en dépression, sur les théâtres de guerre ou au cœur des sociétés en pleine (r)évolution ,ils appartiennent tous à la somme de ces « instants décisifs » , signature obligée de leur présence dans le panthéon de la photographie . Jean-Pierre Laffont fait partie de ces grands noms . Nous étions trop peu à le savoir à l’exception d’Eliane, son épouse , d’Hubert Henrotte , fondateur de l’agence Gamma , puis de Sygma ,et des plus grands “picture editor“ des magazines Stern , Match, Time, Newsweek ,qui régulièrement faisaient de ses reportages le choc de doubles pages très souvent exclusives .

Jean-Pierre Laffont, tout en discrétion derrière la protection de ses boîtiers, est de la race des vrais seigneurs de l’image. Il est très heureux que la MEP, accompagnée par l’édition d’un livre déjà culte ,«Le Paradis d’un Photographe, Tumultueuse Amérique», mette enfin en lumière la démarche féconde d’un photographe resté trop longtemps dans l’ombre portée de ses milliers de clichés . A sa manière toute emprunte de pudeur et d’humilité, Jean–Pierre Laffont est un grand, parmi les grands et opiniâtres caractères d’une confrérie de photo “reporters au long cours“.

Car une fois éteints les feux aveuglants d’une actualité soudaine, leur seul authentique plaisir est de reprendre la route –on the road again–. Pour toujours anticiper ou décrypter les causes ou les conséquences des crises traversées ou à venir, parmi les vétérans du Vietnam ou les chômeurs de Détroit. Liste non exhaustive. Loin de là. Car à peine posé un pied sur le sol américain, tel un Christophe Colomb émerveillé par un «  Nouveau monde » en devenir, après avoir fait un mariage express avec Eliane à New York, ils ont tous deux réussi trente années d’une épopée conjugale autant que photographique à la conquête du «Made in USA».

Sur les traces de Dorothea Lange ou de Robert Frank, Jean-Pierre Laffont vit passionnément ce concubinage privé et professionnel avec une Amérique, qui s’offre à lui. Dans ses noirceurs, dans les gangs du Bronx ou les camps du Ku Kux Klan en Alabama, ou dans l’euphorie patriotique, à Cap-Kennedy, du théâtre des conquêtes spatiales d’une jeune nation avant la parade obligée dans la 5ème Avenue de l’équipage d’Apollo XI revenant de la lune !

«  Comme une cité brillant au sommet d’une montagne » souligne t-il en ajoutant aussitôt : « C’était excitant d’être jeune » Un jeune photo- reporter débordant d’enthousiasme pour être à Washington DC , au plus prés des manifestations étudiantes contre la guerre du Vietnam ,à Atlanta au sein de la procession qui accompagne Martin Luther King en sa dernière demeure , parmi les paysans de l’Arkansas à l’abandon ,corps et âmes , autant que leurs fermes délabrées . Sur la route au tabac plusieurs fois empruntée, Jean-Pierre Laffont a fait souvent les portraits in situ de ces «petits gars de Georgie» chers à Erskine Caldwell. William Faulkner aurait pu légender les images de tous ces Roc McTigert de l’Arkansas, qui ne peuvent plus utiliser leur camionnette déglinguée parce que l’essence est trop chère ». John Steinbeck aurait pu suppléer Eliane Laffont dans la lourde tâche d’œuvrer à « l’éditing » de tous ces reportages, tels les «raisins de la colère» qui sévit et dont fait vendange en images «cash», sans emphase, son mari de photographe qui n’oublie jamais ses origines de français né en Algérie.

Et me revient en mémoire, lors de la remise du Grand prix de la ville de Dresden à James Nachtwey , ce propos liminaire de Wim Wenders que Jean –Pierre Laffont aurait pu faire sien* :

«Je ne pense pas qu’il faille connaître la biographie d’un photographe pour comprendre qui il est. Il nous l’indique dans chacune de ses images … L’œil qui regarde à travers l’objectif est aussi dans le reflet d’un cliché. Il laisse la subtile trace parfois ébauchée du photographe entre silhouette et image gravée non de ses magazines mais de …son cœur, de son âme, de son esprit, de ses convictions» .

Sommeille toujours en lui le jeune officier de l’armée française qui pendant la guerre d’Algérie créa dans le bled algérien prés de Mascara, écoles, dispensaires pour la population rurale délaissée. Ce qui lui valut la Croix de la valeur militaire pour toutes ses actions humanitaires. Chaque cadrage est au cordeau de son sens esthétique et de sa perception humaniste de l’instant partagé. Aucun espace inutile. Horizontal ou Vertical avec rien de superflu. A l’image des craquelures de la terre meurtrie –face à l’alignement de carcasses de vielles Cadillac au Texas. Le 1er plan est toujours la 1ére marche d’une lecture -on ne peut plus – signifiante. Pour éviter de gravir une escalade dans l’effet d’une compassion mal venue .Les deux SDF, «sans logis fixe» qui au pied des «Twin towers» témoignent par leur présence du rêve américain écorné par le chômage. Le piquenique improvisé d’une misère chronique face au nouveau symbole de la 1ére puissance économique de l’époque et à jamais ancrées dans notre mémoire collective depuis un certain « Nine –Eleven » 2001 .

On pourrait reprocher à Jean–Pierre Laffont une légère inclination , voire de la tendresse devant celles et ceux, jeunes membres du gang des «Savage skulls» du Bronx de New-York, homosexuels, travestis, féministes ,qui posent devant lui, assoiffés de reconnaissance. Pas de mise en scène pour autant, car s’il y a regard de connivence échangé c’est toujours par respect réciproque comme avec les détenus de la prison de Tombs ou avec les « trusties» kapo et hommes de confiance de Cummins dans l’Arkansas.

Jamais d’arrogance professionnelle de la part du «Poor lonesome cow-boy, Lucky Luke» de la photo bardé de Leica que se veut Jean-Pierre Laffont, loin des attroupements, conférences de presse, visites du Pape ou de chefs d’état parfois inévitables.

Un trait de sa personnalité entre générosité et modestie mêlées , au point d’expliquer son excellente photo de Bob Kennedy en campagne par « l’heureux accident d’une poussée de la foule de fans et de confrères mêlés » lui permettant d’être au contact de la poignée de main désormais légendaire de Robert Kennedy. Rien n’est jamais dû au hasard chez Jean–Pierre Laffont qui pointe le doigt provocateur de Muhammad Ali sur Joe Frazier avant leur mythique combat. Sur la palette de ses multiples talents le “newsman“ cède la place au photographe de mode improvisé pour restituer le défilé des “people“ et mafiosi tirés “à quatre épingles“. L’occasion pour Eliane Laffont de les intégrer – grandeur nature – dans la scénographie parfaitement réussie à la Maison Européenne de la Photographie, jusqu’au 31 Octobre .

Une visite à ne pas manquer pour explorer trente ans d’histoire(s) des cinquante d’états américains arpentés. Dans un rapport intimiste inédit avec tous celles et ceux qui furent témoins et acteurs de cette Amérique «telle que je l’ai vécue, entre critique, affection et énorme reconnaissance» témoigne avec émotion à peine contrôlée Jean-Pierre Laffont.

Une «Tumultueuse Amérique» toujours aussi fascinante que nous fait revivre une exposition magistrale, comme une contribution essentielle à la mémoire de notre temps.

Une image s’est insidieusement incrustée en nous : celle d’un homme «re-born in USA» dirait Springsteen, photographe de son état pour ajouter une étoile de plus sur le «Stars and stripes» de la photographie américaine.

Un nouveau drapeau tenu d’une main ferme par Eliane Laffont, sa complice de toujours.

Alain Mingam
EXPOSITION
Tumultueuse Amérique de Jean-Pierre Laffont
09.09.2015 – 31.10.2015
5/7 Rue de Fourcy
75004 Paris
01 44 78 75 00

http://www.mep-fr.org

www.jplaffont.com 

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