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De la photographie dans la peinture de Gérard Fromanger

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La très belle exposition Fromanger présentée jusqu’au 16 mai 2016 au Centre Georges Pompidou à Paris, est l’occasion de formuler une réflexion à propos de ces relations ambigües qu’entretiennent photographie et peinture depuis plusieurs décennies et d’apprécier comment cette problématique constitue pour le peintre Gérard Fromanger un élément central d’une grande partie de son œuvre.

Depuis les Impressionnistes et chez Degas en particulier (1), l’image photographique a souvent influencé la production des peintres cherchant à exprimer dans leurs œuvres ses qualités d’instantanéité et de documentaire.

Gérard Fromanger fait partie de ce groupe de peintres des  années 60 connus sous le nom de Figuration narrative qui n’hésitèrent pas à utiliser la photographie en se servant d’un projecteur leur permettant de peindre en grand format l’image photographique projetée sur la toile. Ils cherchaient ainsi pour la plupart à rejeter toute expressivité subjective propre à la pratique de la peinture pour y substituer l’objectivité photographique et ainsi se concentrer sur le message qu’il soit d’ordre politique, poétique et/ou esthétique.

La série « Boulevard des Italiens » (1971) (2) de Fromanger est en ce sens parfaitement clair : il commande à un photographe une série d’images documentaires prises à l’heure du déjeuner sur ce grand boulevard parisien. Il en fait une sélection qui constituera la série et il projette chaque image sur une toile distincte pour peindre l’environnement urbain de chacune d’entre elles en un camaïeu de couleurs différentes (l’équivalent d’un noir et blanc photographique en couleur). Il fait  ressortir par l’utilisation d’un aplat rouge violent les silhouettes anonymes des passants capturés par le photographe.  Si le message est effectivement d’ordre politique (critique d’une société de consommation où l’individu subit anonymement un environnement  oppressant (police, capitalisme, publicité agressive…), il est également d’ordre esthétique puisqu’il oppose à l’illusion objective et photographique de l’espace urbain les silhouettes rouges et plates de l’espace pictural. En un sens, ces silhouettes rouges sont là pour nous rappeler que  « ceci n’est pas une photographie » malgré la ressemblance du tableau à une photo. Elles s’affirment par leur qualité bidimensionnelle et par leur neutralité temporelle puisqu’aucun détail ne nous permet de les identifier : l’environnement parisien a vieilli (il s’agit des années 70) alors que les silhouettes rouges n’ont pas pris une ride.

Dans sa série suivante : « Le peintre et son modèle » (1972), Fromanger se veut plus clair dans ce jeu subtil qui vise à brouiller le rapport spatial et temporel entre photographie et peinture. En effet, le titre qu’il donne à chaque tableau  correspond à la couleur choisie pour le camaïeu : on y trouve Vert Véronèse, Rouge cadmium clair ou encore Violet de Bayeux (3). Cette dernière toile de 150 X 200cm. représente un paysage urbain dans lequel on aperçoit sur la droite la silhouette de l’artiste peinte en aplat noir (l’ombre du peintre !) qui semble observer trois photographies d’une femme nue prenant des poses aguichantes, collées sur un mur pour annoncer quelque spectacle érotique proposé dans un club de Pigalle. En arrière plan à gauche, on aperçoit un fragment de rue parisienne avec ses voitures stationnées et ses passants peints de couleurs différentes mais sans aplat. Par le thème de la série « Le peintre et son modèle » comme par le titre de chaque tableau qui la constitue, Fromanger affirme qu’il est peintre et que son travail s’inscrit dans une tradition picturale héritée depuis des siècles (Raphael et la Fornarina (1814) par Ingres), mais en même temps la qualité photographique de ces toiles semble proposer le contraire en nous renvoyant à la photographie de rue, au document, au constat social rendant compte du déclin de notre civilisation où le modèle du peintre (ou du photographe !) se trouve dans les boîtes à strip-tease (violet de Bayeux), dans les vitrines des commerces (Rouge cadmium clair) ou encore sur le trottoir d’en face devant la vitrine d’une galerie d’art (Vert Véronèse).

Ce rapport entre le peintre et le document photographique devient le sujet central du grand tableau La vie d’artiste (1975-1977) (4) où on peut reconnaître en camaïeu bleu-vert l’artiste au travail dans son atelier projetant sur sa toile l’image photographique qui en fera le sujet : une mutinerie dans une prison, les mutins sur le toit en aplats colorés et les CRS au premier plan. Sorte de mise en abyme avec la photo projetée sur la toile  (on y voit le projecteur allumé), la peinture déjà déposée sur la toile (les mutins sont en couleurs) et l’artiste dans son atelier. L’ensemble est strié de quelques lignes de couleurs vives comme pour affirmer encore qu’il s’agit bien de peinture ; mais d’une peinture représentant une peinture d’une photo !

Fromanger finira par rejeter l’utilisation de la photographie comme  intermédiaire pour favoriser l’objectivité d’un discours pictural. Dans son immense tableau de presque 10 mètres de long : De toutes les couleurs, peinture d’histoire (1991-1992) (5) il n’utilise la couleur qu’en aplat et réussit tout de même, et avec éloquence, à conserver ce rapport privilégié au document, à l’information et à la complexité du monde contemporain.

Son dernier tableau présenté au Centre Pompidou, Peinture-monde, Carbon black (6) date de 2015 et nous montre dans sa partie inférieure un canot de sauvetage dans lequel sont entassées des silhouettes de couleurs vives en aplat et au dessus, plus lointaines, d’autres silhouettes de mêmes couleurs représentant des promeneurs que l’on imagine en ville, profitant d’un dimanche ensoleillé ; le tout sur fond « carbon black ». Nul besoin de filtre « photographie » pour que le message passe.

EXPOSITION
Gérard Fromanger
Du 17 février au 16 mai 2016
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
France
https://www.centrepompidou.fr

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