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Rencontre avec Séverine de Volkovitch, co-fondatrice de Backslash

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Chaque semaine, partons à la rencontre de cette nouvelle génération d’acteurs qui se saisissent des images dans leur quotidien, galeristes mais aussi éditeurs, art advisors, directeurs d’institutions ou de foires, collectionneurs… Ils anticipent les mutations du marché et redessinent les contours de leur champ d’action. Qui sont ces « native digitals » et comment nous décryptent-ils l’avenir ? Aujourd’hui, autre actrice de la rue Notre-Dame de Nazareth avec l’interview de Séverine de Volkovitch, co-fondatrice de Backslash.

« Avoir un rapport à l’image qui fait sens »

A quand remonte votre déclic pour l’art?

Je me souviens de ma première confrontation avec l’art contemporain, à mon arrivée à Paris à 18 ans après un enseignement assez académique dans mon lycée de province. Pour rattraper mon retard, la première chose que j’ai faite a été d’aller au Centre Pompidou où je suis tombée amoureuse de ce que j’y ai découvert, notamment Viallat, Hantaï, etc. Aujourd’hui, ce ne sont plus mes artistes favoris mais cela m’avait beaucoup marquée. J’ai beaucoup évolué depuis, notamment autour de l’art minimal et conceptuel dont je suis une grande amatrice. Evidemment, Backslash est à deux têtes. Nous avons chacune deux visions très différentes et complémentaires de l’art.

Venons en justement à la création de Backslash, au tout début de la rue Notre Dame de Nazareth en vous associant avec Delphine Guillaud.

Je connaissais Delphine depuis longtemps. Nous avions travaillé plusieurs années chez Daniel Templon où nous nous sommes rencontrées. Pour la petite histoire, c’est Delphine qui a eu envie de monter une galerie et qui m’a proposé, à ma grande surprise d’ailleurs, de la rejoindre dans cette aventure. J’avais travaillé auparavant dans une jeune galerie, la galerie Maisonneuve, une très bonne galerie à l’époque, qui a fermé depuis. Je savais que c’était très dur, très long et compliqué de promouvoir des artistes émergents. Je ne lui ai évidemment rien dit et je me suis lancée avec elle! Nous avons visité le lieu dès le départ, plus pour se faire plaisir. Il était à louer depuis très longtemps. Il n’y avait que la galerie Paris Beijing qui s’était installée dans la rue, même si dans le quartier, au bout de la rue Volta, la Bank installée en 2005 avait déjà bien défriché pendant 5 ans. Nous avons ouvert presque en même temps que Farideh Cadot. Nous avons beaucoup hésité sur le quartier, artistiquement pas du tout identifié et nous savions que cela allait être compliqué de faire passer les parisiens de l’autre côté d’Arts et Métiers. Une station de métro, c’est énorme à Paris! Pour le même prix que 250 m² ici, nous pouvions avoir 60 m² rue de Turenne ou rue Saint Claude. Notre choix a été assez décisif et fidèle à ce que nous voulions faire : avoir un espace conséquent pour montrer les artistes, leur donner suffisamment de liberté, avoir un show-room, des réserves et des bureaux qui font toute l’activité d’une galerie. Pour avoir travaillé avec Daniel Templon, nous savions avec Delphine qu’un show-room était un outil absolument indispensable, non seulement pour faire des ventes mais aussi pour pouvoir montrer nos artistes toute l’année à nos collectionneurs qui savent qu’ils peuvent venir à Backslash quand ils le veulent pour voir tous les artistes et pas uniquement les expositions en cours.

Vous avez tout de suite joué la carte de la synergie pour les nouveaux arrivants, ce qui a sans doute participé au succès de la rue.

En effet. Nous avons créé avec les galeries du quartier un guide qui s’appelle « Galeries du Haut Marais » dont le design est fait par Akatre, un jeune studio de création talentueux. Quelque chose de simple et d’efficace. Aujourd’hui, nous sommes plus d’une quinzaine. Il y a des éditeurs, des galeries, des libraires, des très jeunes ou des galeries installées, tout en ayant chacun une identité singulière.

Y a t-il une ligne dominante ou des points de convergence dans les artistes que vous représentez?

Oui, et non. C’est une galerie à deux têtes et nous avons des subjectivités différentes. Il faut que cela soit un coup de coeur total. C’est très enrichissant car nous passons beaucoup de temps avec Delphine à nous envoyer des dossiers d’artistes, des infos… C’est aussi ce qui fait la richesse de notre métier, cette discussion en continu autour de l’art. Une galerie est souvent le reflet des goûts d’un galeriste. Nous sommes aux antipodes de cela car nous pensons que nous pouvons être éclectiques dans notre approche, sans catégoriser et segmenter les choses. Même si beaucoup disent qu’il y a un fil rouge qui traverse la programmation de Backslash. Ce qui nous intéresse avant tout est de travailler avec des gens de notre génération pour instaurer ce dialogue au quotidien, autour de l’art contemporain. Du figuratif au conceptuel, de la peinture à l’installation sonore, nous nous ouvrons volontairement à des esthétiques très différentes.

Vous êtes très présentes sur les foires (Paris, Bâle, Seattle bientôt), est ce une nécessité ou un choix?

C’est un choix car nous avons une grande chance : nos revenus principaux proviennent directement des activités de la galerie, ce qui nous donne la liberté de pouvoir choisir où nous voulons aller et à quel moment. Nous faisons extrêmement attention à nos choix. Les foires sont un vecteur puissant de communication et de vente. C’est toujours un coup de projecteur assez fascinant sur la galerie et les artistes. Mais en même temps, ce sont souvent de grands gouffres financiers, qui ne rapportent qu’aux foires. Le but n’est pas de fermer Backslash après avoir fait dix foires, comme ces galeries qui ont fermé après avoir fait la Fiac ou l’Armory! Nous nous projetons à long terme. Nous essayons donc de faire les choses raisonnablement, en songeant d’abord à la pérennité de la galerie et du lieu. C’est très aléatoire selon les années mais nous participons à entre deux à cinq foires par an, cela dépend des années, de l’intérêt des foires et du calendrier, devenu de plus en plus serré.

Quelles sont les évolutions que vous avez remarquées dans votre métier et que vous anticipez au quotidien?

De manière générale, la dématérialisation de l’art, avec les lieux éphémères et les foires mais pas que : les biennales, les pop-ups, les galeries en ligne… Le nombre d’applications qui existent pour acheter de l’art, voir de l’art, etc. est exponentiel. Notre position est que l’on ne pourra jamais vendre correctement de l’art sans contact humain et sans voir les oeuvres. Mais nous sommes une galerie extrêmement dynamique au niveau digital, puisqu’à notre ouverture nous avions créé un blog où nous parlions de la scène artistique et notamment des autres, ce qui avait surpris d’ailleurs. Il est certain que les réseaux sociaux nous permettent de toucher des gens du monde entier. Et c’est assez rare mais nous avons découvert le travail de l’artiste Sergen Şehitoğlu (actuellement exposé) sur Artsy à l’occasion d’Art International à laquelle il participait avec sa galerie turque, Sanatorium. Nous sommes tombées sur une image époustouflante de la série « Kill Memories » et évidemment il y a eu ensuite un vrai suivi du travail et un contact humain avec l’artiste, absolument essentiel.

Parmi vos artistes, lesquels s’emparent du médium photographique au sens large?

Je peux citer Rero, qui travaille avec la photographie mais aussi des installations, de la vidéo, de la sculpture, etc. C’est un artiste vraiment pluridisciplinaire. Etant immergée dans un monde d’images, je dois avouer cependant qu’il est difficile pour moi de trouver un travail qui soit très original et en même temps intéressant esthétiquement et sur le contenu et, comme le fait Sergen Şehitoğlu, qui parle du médium photographique. Il concentre tous ces critères car il utilise le médium pour parler des relations humaines dans notre société contemporaine, notamment à l’ère du virtuel. Sergen s’est approprié ce médium de manière extrêmement intelligente,  à travers toutes ses séries antérieures, entre l’abstraction et la figuration, avec un travail sur les couleurs, les formes, la transparence, avec un procédé technique qui nous a captivé. Ici, il a franchi encore un pas en mettant le numérique, Google et la vie virtuelle au centre de l’exposition. Il combine travail esthétique et réflexion très contemporaine sur le voyeurisme, la présence sur les réseaux et sur Internet dans une vraie réflexion de mise en espace et sur l’abandon de l’appareil photo comme objet. Il est aussi très intéressant de dire : je suis photographe, avec mon ordinateur et avec des images qui ne sont pas les miennes au départ, induisant le débat sur la notion d’auteur et sur des champs très classiques de la photographie au départ que sont le portrait, la photographie de rue, la photographie documentaire, ici totalement revisités.

Qu’est ce qu’incarne selon vous le phénomène Barter Paris Art Club que vous soutenez autour du rôle et de la place du collectionneur?

Barter est d’abord une histoire d’amitié avec Philippe Lamy, qui vient d’un autre monde et qui a donc un regard très pertinent sur l’art et les galeries puisqu’il n’est pas du sérail. Barter est emblématique de ce qui se passe en ce moment. Il y aura, à mon avis, de plus en plus de gens qui vont s’intéresser à l’art contemporain, avec ce besoin aujourd’hui d’avoir un rapport à l’image qui fait sens et qui n’est pas uniquement dans la consommation mais dans une recherche de liens, de sens, par rapport à soi-même, à sa vie. Quelque chose de plus profond. Il est donc essentiel que les galeries soient attentives à ces nouveaux acteurs avec une politique de prix intéressante et beaucoup de pédagogie.

Comment avez-vous pensé SESSIONS et pourquoi, alors qu’au même moment Choices propose une démarche qui semble assez proche?

J’ai tendance à penser que plus il y a de projets, mieux c’est. Il est vrai que SESSIONS s’inscrit juste après Choices, par pur hasard de calendrier. Les deux événements sont très différents. Choices s’adresse principalement aux collectionneurs, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour SESSIONS, plus ouvert en matière de public, collectionneurs mais aussi amateurs au sens large. D’autre part, SESSIONS n’a pas vocation à perdurer dans le temps. L’idée est de créer le dialogue et de faire naître des initiatives, tout en apportant un éclairage sur ces galeries qui travaillent ensemble, de manière totalement ouverte. Nous voulions aussi un événement totalement gratuit pour les galeries, souple et flexible. De plus, la période de juin et juillet est assez idéale car les galeries ne sont pas trop débordées et cela s’inscrit dans une fin d’année festive. Un bon timing pour résumer!

Comment vous projetez-vous d’ici 5 à 10 ans?

Premièrement, nous ne songeons pas à déménager car nous avons ici un espace formidable. Même si, aux débuts de Backslash, nous avions de grandes idées, avec une antenne à Bruxelles, puis à New York! Aujourd’hui, nous pensons que le marché est trop serré pour une jeune galerie comme nous (5 ans d’existence) pour se projeter au delà de l’hexagone. Je ne pense pas d’ailleurs que ce soit forcément une bonne solution d’ouvrir un autre espace. Je crois beaucoup plus en l’effet du rhizome et de travailler autrement, sur des expositions ou des associations. Il est très intéressant de voir qui s’étend à l’étranger ou qui décide d’ouvrir des espaces supplémentaires plutôt à Paris. Par exemple, Kamel Mennour, qui est quand même l’une des plus grandes galeries françaises, décide d’ouvrir un autre espace à Matignon, de même pour Nathalie Obadia qui s’est étendue à Paris et à Bruxelles, tandis que d’autres ouvrent ailleurs, Emmanuel Perrotin à Séoul, Pace à Palo Alto, Hauser & Wirth un peu partout. Il y a clairement deux stratégies. Nous ne sommes évidemment pas dans la même logique que ceux qui s’étendent. Nous n’allons pas tout de suite vendre de jeunes artistes à des milliardaires aux quatre coins de la planète, collectionneurs qui ne sont pas forcément prêts pour cela. Cela demande plus de temps. Et nous ne sommes pas dans une volonté d’obtenir de grands artistes, des estates, etc.

Dans la mesure où il n’y a pas de salariés à Backslash, la première étape sera d’abord d’avoir un régisseur, des assistants pour nous renforcer ici, et avoir la possibilité de faire plus de projets extérieurs.

Si vous aviez un rêve…

En tant que galeriste, ce serait de faire Art Basel, comme tout bon galeriste qui se respecte! Le reste n’est pas dans le domaine du rêve mais des objectifs à atteindre. En tant que personne, ce serait d’avoir la liberté de pouvoir partir à la découverte de toutes les fabuleuses expositions dans le monde entier, sur un coup de tête. Le luxe le plus ultime!

INFORMATIONS
BACKSLASH
29 rue Notre-Dame de Nazareth
75003 Paris
France
T: 09 81 39 60 01
http://www.backslashgallery.com
mardi – samedi 14h – 19h

EXPOSITION EN COURS
Sergen Şehitoğlu
Kill Memories
Du 9 avril au 28 mai 2016

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