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Paris : Katrien de Blauwer, Single Cuts

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La galerie Les Filles du Calvaire présente la première exposition française de l’artiste flamande Katrien de Blauwer à travers la série « Single Cuts ». Katrien de Blauwer est passée maître dans l’art du « Cut ».

Cette terminologie est effectivement plus appropriée que le terme « collage » pour définir la pratique de l’artiste, tant il semble en décalage en regard de la maîtrise des compositions et la puissance formelle de ses créations. De facto, ses œuvres ne sont pas des collages comme on peut l’entendre habituellement. Il ne s’agit pas ici de l’association de motifs afin de recréer une imagerie comme celle, par exemple, des recherches surréalistes.

Son geste artistique est lié, certes, à une perception intuitive et à un cheminement poétique, mais son approche est conceptuelle, radicale. Cette artiste est une observatrice, une analyste attentive des éléments qui fondent une photographie tant dans son sujet (la captation que celle-ci opère d’un morceau de réel par le cadrage), que dans l’espace même de l’image et des différents plans et chromatiques qui la composent. Pourtant Katrien de Blauwer n’est pas directement photographe. Elle préfère se servir, extraire des éléments du langage photographique, pour réactiver sa valeur formelle.

Si l’on usait du français, cela reviendrait à parler de « coupe » ou plutôt de « découpe », mais nous lui préférons définitivement le sens du « cutting ». Katrien de Blauwer ne découpe pas puisqu’elle ne suit pas la forme des corps ou des visages, elle préempte des bandes visuelles pour former une composition dont l’ordonnance relève des principes de l’abstraction. Il n’y a pas surenchère, mais retrait. Son oeil singularise quelques éléments visuels et les valorise formellement par adjonction de plages chromatiques silencieuses qui suggèrent un hors champ et délivrent une nouvelle trame visuelle. La plupart des parties qui composent les nouvelles images, et notamment les parties figuratives, sont issues de magazines en noir et blanc des années 1920 à 1960. Les assemblages sont réalisés avec l’apport de pans monochromes qu’elle puise dans de vieux livres dont l’ancienneté du papier favorise un effacement de la couleur, proche de celui qui opère dans les parties noir et blanc des coupures de presse. Ces harmonies font ainsi dialoguer des niveaux de gris avec des tons pantones délavés qui viennent renforcer la puissance graphique de l’ensemble.

Les « Cuts » radicaux de Katrien de Blauwer relèvent d’une culture de l’art minimal. Si son univers diffère, sa méthode n’est pas sans rappeler les procédés de certains conceptuels des années 60/70 telles les approches documentaires de Dan Graham dans lesquelles il agence différents types de documents photographiques et les présente sous forme de notices rassemblées dans des catalogues, créant ainsi des typologies urbaines fictives. Il est possible également d’évoquer la pratique urbaine de Gordon Matta Clark et ses découpes architecturales que l’on retrouve dans ses projets sur papier et ses rendus photographiques de ses actions monumentales fonctionnant à leur tour comme des propositions « abstraites ». L’influence de la mode contemporaine, qu’elle a un temps étudiée, est également présente dans le travail de Katrien Blauwer.

Parallèlement, le terme « Cut » souligne l’intérêt de Katrien de Blauwer pour le cinéma. Citons ici le livre publié en collaboration avec Giulana Prucca qui nous a permis de découvrir ce travail inédit. L’ensemble de ce remarquable ouvrage tient plus du livre d’artiste que d’un catalogue et a été réalisé autour d’Antonioni ; l’univers du Maestro du noir et blanc dialoguant à merveille avec celui de Katrien de Blauwer. On pourrait aussi évoquer « L’année dernière à Marienbad » de Resnais pour certaines compositions, tandis que d’autres, plus inquiétantes, peuvent renvoyer aux films d’Hitchcock.

Dans ses différents corpus que l’artiste nomme Darks scenes, Scenes, Single Cuts, Rendez-vous, etc., cette filiation est fondatrice. Ces titres rendent même implicitement hommage aux principes révolutionnaires de montage mis en place par Jean-Luc Godard, et notamment aux « jump cuts » tels que celui-ci les a définis. Certains « Cuts » de Katrien de Blauwer, comme les Singles formés seulement de deux morceaux de papier, affleure, au-delà de la notion de « coupe », celle de la séquence et de l’image-mouvement. La sérialité filmique est traduite par un mouvement dans certains sujets et est accentuée par le montage que l’artiste conçoit dans une forme de répétitivité décalée comme si elle extrayait une ou deux images-secondes de la pellicule. La proposition plastique s’offre tel le fragment d’un film dont la narration s’est échappée définitivement au profit d’un instant immémorial.

On ne peut pas écrire sur l’œuvre de Katrien de Blauwer sans en souligner la sensualité. Celle-ci se décline au féminin et les éléments corporels semblent provenir des héroïnes des films noirs, du Néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague des années cinquante et soixante. Les graphismes des coupes de cheveux longs ou courts sont autant de souvenirs de la magnificence de Jeanne Moreau ou de Françoise Dorléac. Les arcades sourcilières qui se haussent au-dessus des bandes noires rappellent Anna Karina ou Silvana Mangano. Ailleurs, on croit percevoir la bouche voluptueuse de Monica Vitti ou la fragilité crânienne de Jane Seberg, tandis que les jambes qui défilent posent l’éternel féminin dans toute sa fugacité. Certaines héroïnes sont, pour nous Français, éminemment durassiennes, elles sont sans doute hollywoodiennes pour d’autres, elles restent mystérieusement uniques pour Katrien de Blauwer.

En effet, cette artiste singulière offre au regard des fragments intimes de sa perception du Féminin comme autant de perles visuelles qu’elle égrène depuis des années à travers un corpus déjà immense. Elle en livre parfois des fragments magnifiques à celui qui saura les voir. Au regardeur de trouver la ligne poétique qui le conduira au cœur de telle ou telle image et le laissera captif et médusé face à une œuvre pourtant aux si petites dimensions, au matériau volontairement modeste, mais dont la puissance formelle accapare la vision.

EXPOSITION
Single Cuts
Katrien de Blauwer
Du 10 mai au 18 juin 2016
Galerie Les Filles du Calvaire
17 rue des Filles du Calvaire
75003 Paris
France
http://www.fillesducalvaire.com
http://www.katriendeblauwer.com

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