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Pingyao, Le triomphe de Jean-Pierre Laffont

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Le matin du 19 septembre, après une journée de pluie sans fin qui n’a pas pour autant refroidi l’ardeur des conservateurs et assistants dans la dernière ligne droite des accrochages, toujours chaotiques, le ciel bleu est revenu ! Et la 16e édition du festival international de photographie de Pingyao a pu s’ouvrir devant un parterre de dignitaires qui vont des apparatchiks du parti (de la province, du canton, de la ville) aux membres éminents et influents de l’association nationale des photographes chinois.

Sur l’air héroïque des trompettes du film de George Lucas Star Wars, le présentateur annonce le nom (écorché) de Jean-Pierre Laffont. La star du festival monte les marches couvertes d’un tapis rouge, sous le regard amusé d’Eliane Laffont, la fidèle compagne de sa longue marche et guidé par une hôtesse en tunique traditionnelle blanche fendue sur des jambes longues de mannequin. D’une voix forte et assurée, Jean-Pierre prononce son discours en anglais, digne d’un candidat à la présidentielle américaine.

Les honneurs faits, la réalité de la photographie chinoise calme aussi sec. Jean-Pierre et Eliane ont eu la désagréable surprise de voir 22 tirages de leur grande expo sur le site principal Diesel Factory décrochés du mur sur l’injonction du bureau de la censure du ministère de la Culture de Pékin, relayé au niveau provincial puis au niveau cantonal, pour enfin être exécuté par un fonctionnaire de Pingyao qui est venu constater l’enlèvement des images récriminées.

J’apprends plus tard qu’un dignitaire du parti, un (une ?) vétéran de la révolution, est venu voir l’exposition de Laffont et s’est indigné devant des images jugées offensantes. Les Laffont tombent du piédestal, ou alors du « paradis » des podiums d’honneur, (comme en Eurovision dira Jean-Pierre), la chute sur la terre, très poussiéreuse à la Diesel Factory, fait un peu mal. Mais il n’y a rien à faire, le système veut que ces 3 domaines restent plus que jamais très sensibles en Chine : la sexualité (nudité), la religion, les minorités ethniques ou régionales. L’opération s’est faite à 2 reprises, ce qui fait dire à Eliane que l’expo devient un « shrinking show » qui se rétrécit.

Mais avec intelligence et patience, elle va réarranger la scénographie pour couvrir les « trous » laissés sur les murs et obtient un écran pour diffuser discrètement en continu des images, y compris celles honnies. Il faut dire que la scénographie astucieuse d’Eliane Laffont, qui s’approprie le découpage de la salle d’exposition en antichambre et en arrière salle, rend justice à la modernité et au classicisme de Jean-Pierre Laffont. Le classicisme d’abord dans le travail sur les fermiers américains qui évoque le documentaire humaniste de la série FSA des années 1930. Le modernisme absolument fashion et rock de Jean-Pierre éclate avec ces sortes de quadriptyques installés sur les murs du fond avec les dandys excentriques et flashés façon paparazzi, qui venaient assister au combat de Mohammed Ali contre Joe Frazier au Madison Square Garden.

Nous allons remettre ici les photos censurées : celle de mai 1970 lors de la protestation contre le massacre d’étudiants de Kent State University montrant un garçon jaillissant de l’eau avec son sexe en l’air dans le bassin du monument de Washington. La photo en couleur de deux garçons médailles au cou s’embrassant à pleine bouche lors des premiers Jeux olympiques Gay de San Francisco d’août 1982. Alors que d’autres clichés aux seins nus et culs nus, comme la série des travestis de New York, ne semblent pas avoir dérangé les censeurs outre mesure. En matière de religion, la série sur la communauté du Gourou Bagwan Rajneesh en Oregon de 1984 n’a pas été jugée digne de Pingyao. Ce qui nous a paru encore plus incompréhensible est la censure du reportage sur les migrants mexicains aux frontières de Californie et du Texas. Qu’y ont vu les censeurs de subversif ?

Ironiquement, la photo d’une manifestation pour la guerre du Vietnam en 1966 à New York, où l’on voit une pancarte avec ces mots : « The only good Communist is a dead Communist » est bien restée accrochée !

Censure à part, la présence de cette exposition phare de Jean-Pierre Laffont à Pingyao est une bouffée d’air salutaire au milieu des montagnes de photographies chinoises bien-pensantes dont les titres se raccrochent trop souvent au rêve chinois de la propagande officielle. La conférence de Jean-Pierre Laffont qui a fait salle comble témoigne bien de la soif d’orientation des jeunes photographes chinois déboussolés, qui ont entendu les conseils du photographe français. Désormais naturalisé américain, présenté sur la grande affiche de son exposition comme le photographe légendaire, il répondait à une question sur la photographie digitale : « la réalité est ce que je vois devant moi. Si je prends une photo numérique, je corrige la lumière et le contraste, ça va. Mais si j’en rajoute, avec de plus en plus d’effets Photoshop, je m’éloigne complètement de la réalité, ce n’est plus ce que je voyais devant moi. »

Jean-Pierre, qui est venu en Chine dans les années 1980 documenter les vestiges de la Longue Marche, s’émerveille des changements incroyables de cet Empire du Milieu, mais d’où hélas, on a du mal à imaginer aujourd’hui comment il aurait pu documenter la déchéance d’un président, le mouvement des Black Panthers et Women’s Lib, les protestations des étudiants, les Hippies et les Hare Krishnas, les Gay Prides et les prisons dont le portrait de l’infâme chaise électrique de Sing Sing, le drapeau national suspendu à l’envers en signe de rébellion… La réalité de cette Chine d’aujourd’hui est-elle vraiment ce que l’on voit devant soi ?

Jean Loh

 
Amérique turbulente, de Jean-Pierre Laffont
Au Festival de Pingyao, Chine
19 au 25 Septembre 2016
 
http://www.pip919.com/

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