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The United States of America : vision grandiose d’un territoire

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Lorsque le président élu Donal Trump évoque vaguement l’idée de rendre sa grandeur à l’Amérique, il est fort possible qu’il se réfère à l’Amérique que le National Geographic a créée de toutes pièces dans ses pages, pendant la majeure partie du xxe siècle. Certaines d’entre elles sont reproduites dans The United States of America, un ouvrage en deux tomes publié aux éditions Taschen.

Directeur de la rédaction de Photo District News, David Walker note dans l’introduction du livre qu’il s’agit d’une Amérique faite de « ferveur enjouée », dessinée par « l’optimisme, le patriotisme, l’esprit pionnier et la prospérité ». Les rédacteurs du magazine ont insisté sur cette vision, imposant une « esthétique institutionnelle stricte » qui « renforce les narrations traditionnelles de l’histoire et des cultures régionales de l’Amérique ainsi que les liens entre les Américains et la terre qu’ils considèrent comme la leur ». Il fait remarquer que « les sensibilités des blancs de classe moyenne et du cœur rural et provincial du pays » y règnent en maître.

Il en résulte le genre de portrait que Brandon Stanton et Edward Steichen admireraient à coup sûr, une vision sentimentale et dénuée de sens critique dans laquelle les différences individuelles sont avant tout d’ordre esthétique. Le pays est organisé par Etat, par ordre alphabétique, chaque chapitre débutant par une phrase élogieuse sur les lieux : « Rien de mieux pour se reposer que l’Arkansas », « En respirant l’air pur de l’Arizona, on renaît », ou encore « Je suis amoureux du Montana ».

Nimbées d’une luminosité américanisante aussi douillette que limitée, les photographies sont tout aussi exaltées. On y voit des mineurs de l’Illinois en salopettes bleues, souriant sous le charbon qui noircit leur visage, des écoliers blancs alignés dans l’unique salle de classe d’une petite école du Kentucky, une ferme du Delaware qui semble tout droit sortie d’un conte de fées et qui « luit doucement derrière un voile de flocons de neige ». Il y a là de jolies filles et des bolides, des panoramas époustouflants et des pompistes heureux, de vrais cowboys et des Indiens. En capturant ces derniers, écrit Walker, les photographes du National Geographic avaient tendance à adopter une vision romantique et stéréotypée tout en « fermant discrètement les yeux sur un pan trouble de l’histoire et ses conséquences tragiques ». Il donne cependant sa bénédiction à ces portraits, en faisant remarquer leur « beauté rayonnante et envoûtante ». Dans le chapitre consacré au Missouri apparaît justement l’une de ces photos, celle du Chef John Smith, dont la tribu fut déportée à la suite de la loi Indian Removal Act instaurée sous la présidence d’Andrew Jackson. Juste à côté du portrait figure une citation involontairement malheureuse de Brad Pitt : « Je viens du Missouri et là-bas, on ne se contente pas de parler, on agit ».

Dans la seconde moitié du xxe siècle, poursuit Walker, une nouvelle génération de photographes du National Geographic s’est intéressée à « une Amérique en pleine mutation, sans se soucier de sa laideur », rapportant pour la première fois à la rédaction des clichés illustrant « la pollution, la pauvreté, le délabrement urbain et autres maux de la société ». Ces images ne figurent pourtant pas dans l’ouvrage – à l’exception d’une photo signée Eugene Richards : dans le Dakota du Nord, en plein pays du pétrole de schiste, une torchère industrielle est encadrée par un double arc-en-ciel dont la beauté adoucit la puissance.

Ce recueil n’a pas pour mission de fournir le genre de critique que peut susciter chaque sourire américain éclatant. Dans un certain sens, tout pays a besoin de ses fables pour survivre, et ce livre les détaille de façon magnifique – à n’en pas douter, sa présence illuminera de sa beauté un grand nombre de tables basses. L’histoire de l’Amérique traverse cependant une période obscure et trouble. C’est sans doute à cause de cela que ce genre de mythification semble aujourd’hui plus périlleux qu’enchanteur.

Jordan G. Teicher 

Américain basé à Brooklyn, New York, Jordan G. Teicher est journaliste et critique.

 
 

The United States of America
Publié aux éditions Taschen
$300

www.taschen.com

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