Rechercher un article

L’élégance, par vingt photographes

Preview

Dos droit, regard froid et un peu mystérieux, posture d’un être inabordable, coupe simple, matières nobles, souci du détail, blanc immaculé, accessoires discrets – d’emblée, quand on parle d’élégance, on pense à la mode plutôt féminine, ou à celles qui savent la porter. L’élégance est une notion énigmatique, un peu comme l’âme. Tout le monde en parle, mais personne ne peut vraiment la décrire. Et pourtant, les magazines de mode sont faits pour l’enseigner, comme une matière scolaire. Hélas ! On peut parvenir à effacer les rides, apprendre à marcher dos droit, s’acheter les plus beaux habits ce n’est pas pour autant qu’on sera élégant ! Cette qualité tant vénérée ne s’explique pas, c’est une mélodie intérieure, simple et sophistiquée à la fois.

L’exposition Élégance, à la galerie Russiantearoom à Paris, est une étude de cas, un survol lyrique, une promenade dans une boutique luxueuse où l’on se permettra d’effleurer les vêtements accrochés, de les sentir au toucher, mais sans aller plus loin ni se les offrir.

Pour parler d’élégance, la photographie, me semble être le médium privilégié. Qui mieux que la photographie capte la pose, l’attitude, l’esprit, visible et caché. La photographie reste un médium de l’instant, et donc de la sincérité, où chaque artifice sera d’autant plus visible, en relief. « Sans élégance du cœur, il n’y a pas d’élégance » : ces mots d’Yves Saint-Laurent donnent à la photographie une carte blanche. Alors, avec son aide, et de discrètes interventions du dessin, essayons de comprendre l’élégance.

Ce qui est étonnant en premier lieu, c’est une certaine “rigidité” des sujets, animés ou pas. Les femmes se figent dans une pose comme un chou oublié sur un banc ou la méduse flottant dans une eau à moins 1 degrés d’Alexander Semenov, c’est la parade du charme et de la grâce. On se dit qu’une personne peut être élégante indépendamment de son statut social et que l’élégance n’est pas réservée qu’aux privilégiés.

Les artistes présentés par Russiantearoom traitent l’élégance sous des formes différentes. Ce qui les réunit, c’est la poésie frêle, comme chez Pavel Banka, où les objets les plus triviaux habillent visages et corps ou comme chez Philippe Tarabella, promeneur parisien, amoureux d’inattendu. Dans leurs expressions, certains regardent le monde avec un humour tendre, à l’image de Sergey Maximishin, l’un de plus importants photoreporters russes, avec ses hommes d’affaires provinciaux ou ses businessmen moscovites en pose à la Rodin dans un sauna. Il y a aussi les aquarelles sublimes du jeune, encore étudiant des Beaux-Arts de Paris, Nicolas Tolmachev, qui met en couple la belle du XVIIIe et la bête extraterrestre.

Les portraits officiels de Coco Chanel et Marlène Dietrich, saisies par le célèbre photographe des années 30 Roger Schall, les présentent comme ce qu’elles étaient, des icônes du style. Ils voisinent avec le travail ironique et fin du japonais Shunsuke Ohno qui rephotographie des clichés de mode en les recadrant, modifiant ainsi l’équilibre de l’image initiale et son message. Et l’œuvre vidéo de Laurent Fievet, un montage à partir d’une petite séquence d’un film classique hollywoodien, est à mi-chemin entre l’admiration devant une beauté lisse et l’ironie discrète.

Sur les photographies de Katerina Belkina, gagnante du dernier prix Hasselblad Masters, on plonge dans la belle froideur des maîtres flamands et leur composition classique (élégance assurée !), qui sert de forme pour parler du quotidien d’une femme moderne. A l’opposé, les Lituaniens d’Antanas Sutkus, de l’époque soviétique, gardent leur dignité élégante dans toutes les circonstances, la portant comme une résistance au régime. Un petit saut dans le temps – et voici les vestiges de ce même régime : les sculptures, omniprésentes autrefois, se dégradent sous l’objectif d’Igor Moukhin, qui réussit à capter ce qui reste de cette fameuse fierté des gagnants qui conversent les corps musclés, vivants et sculpturaux des danseurs de Mariinsky par Evgeny Mokhorev. La simplicité des leurs gestes rime avec la pureté des livres rangés de Vadim Gushchin, dont on entend presque la musique de la poussière qui tombe sur eux.

Tout russe se souvient de la fameuse sentence de Boulgakov : « Les manuscrits ne brûlent pas ». Elle nous ouvre la porte de l’éternité que quelques artistes traitent comme la modernité : Oleg Dou et ses portraits-masques de beauté, irréprochables et sans âme ; Olga Fedorova, auteur des mondes synthétiques, fruits de son imagination, de ses observations et de ses rêves ou encore Dmitry Sokolenko, en poète-mathématicien, condense l’univers en champs sémantiques en images. Paris Hilton, l’icône d’anti-élégance, est résumée en deux demi-cercles, eux, assez élégants… Les lignes qui rejoignent les courbes des nus d’Anna Danilova et des paysages d’Ilan Weiss. Ainsi cette exposition souhaite-t-elle parler d’élégance, des sujets, des œuvres, mais également de l’élégance du geste de l’artiste qui, recadrant le Cosmos, coupe l’inutile, le vain, et tente de s’approcher de l’ultime élégance – l’immortalité… 

Liza Fetissova

 
Élégance
19 janvier – 11 mars 2017
Galerie Russiantearoom chez Central Dupon
74 Rue Joseph de Maistre
75018 Paris
France

http://www.rtrgallery.com/

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android