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Mort de Thibaut Cuisset, photographe

Thibaut Cuisset a fait découvrir ses photos durant l’été 1991, et ce fut un choc. Des images de la montagne suisse, exposées à Lausanne. Le jeune homme, né le 19 mars 1958 à Maubeuge (Nord) avait 33 ans, une voix aussi douce que sa palette de couleurs. Mais il bousculait le genre. Il disait qu’un paysage peut être beau sans être une jolie carte postale inerte. Qu’il était vivant, habité même vide. Qu’il bougeait. Le public était déboussolé. « Les couleurs sont trop pâles », s’indignait un patron de Kodak. « C’est ce que j’ai vu », répondait-il. Belle figure de la photographie, Thibaut Cuisset est mort, jeudi 19 janvier, à Villejuif (Val-de-Marne), des suites d’un cancer. Il avait 58 ans.

Douceur, clarté, précision, invitation à la contemplation. Ce sont les armes de Thibaut Cuisset pour aimanter l’œil. Une fois devant l’image, on constate que l’ambition est élevée : fixer l’histoire et l’actualité d’un paysage, la bataille entre la nature et la façon dont nous la façonnons, entre le sauvage et le construit. Ce sont les couches successives qui produisent du vivant, donc pas besoin de l’homme dans le cadre.

Cuisset photographie « du visible mais qu’on ne voit pas », des endroits naturels où on ne pense pas s’arrêter, et d’autres, aux confins de la ville, où on n’a pas envie de s’arrêter. Mais devant ses images au « mystère bien réel », oh oui, on s’arrête.

« En campagnes »

Pendant trente ans, Cuisset est parti « en campagnes », disait-il. Comme les pionniers du XIXe siècle. En France, Italie, Namibie, Andalousie, Australie, Syrie, Islande, Japon. Dans la rue de Paris, à Montreuil, où il habitait. Il s’est confronté aux grands espaces des Etats-Unis et devait y retourner. Arrêtons-nous sur ses images faites en Syrie, en 2008, avant le chaos. A Palmyre, Damas ou dans des villages. Les plans sont larges, les sites sont fondus dans le sable. Cuisset photographie à midi, quand le soleil brûle les yeux, qu’il n’y a pas d’ombre, et que les perspectives sont écrasées. Aucune scorie qui empêcherait de voir et de réfléchir sur le destin de cette terre. C’est cela, chez Cuisset, une photo de paysage réussie : pas inerte, pas morale non plus, qui appelle le témoignage, un « excès de réel qui tend vers la fiction ».

Pour arriver à ce résultat, Thibaut Cuisset hésitait entre le protocole rigoureux et le voyage littéraire. « Un mélange de concentration et de distraction », disait-il. Ou encore : « Mon esthétique naît du déplacement. » Déplacement lent. Ses campagnes durent plusieurs semaines ou mois. Il se déplace en voiture à 20 km à l’heure, jusqu’au point ultime d’une carte routière, dans un désert comme en haute altitude. Il marche beaucoup puis s’enracine, photographie à la chambre, en couleur, toujours au format horizontal – celui du cinéma.

« Poésie froide »

Thibaut Cuisset ne raconte pas sa vie dans ses images. Il aime « la poésie froide ». Sans pathos ni anecdotes. Ses références sont du côté des photographes Walker Evans et Luigi Ghirri qui ont révolutionné la représentation de l’espace. Il n’était ni dans le reportage ni dans les standards de l’art contemporain, simplement un grand photographe au fonctionnement cohérent : il répondait à des commandes et résidences, il en tirait des expositions et des livres, il vendait des images par sa galerie, Les Filles du calvaire, à Paris. Pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome en 1992, il a ainsi réalisé un travail remarquable sur le paysage périurbain au sud de l’Italie.

Cuisset a fait l’objet d’une trentaine d’expositions personnelles, en France et à l’étranger, depuis sa révélation à Lausanne. Il a exposé aux Rencontres d’Arles en 1992, au Japon en 1997, à Rome et Moscou en 2002, au Palais des beaux-arts de Lille en 2005, à Rouen en 2009, à l’Académie des beaux-arts à Paris en 2010. Il a publié une dizaine de livres, souvent des bijoux, portés par des textes de complices bien choisis – Jean-Christophe Bailly, Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe, Gilles A. Tiberghien, Jean Echenoz. On peut découvrir ses images du paysage français, jusqu’au 12 février, à la Fondation Fernet-Branca, en Alsace. Il sera exposé à l’automne 2017 à Dunkerque. Un gros livre réunira bientôt son « Atlas poétique et sensible » aux éditions Steidl. Il aimait cette formule de l’artiste Raymond Hains : « Mes œuvres existaient avant moi mais personne ne les voyait tant elles crevaient les yeux. »

Michel Guerrin

Michel Guerrin est journaliste au journal Le Monde depuis 1983, où il a notamment dirigé la rubrique photographie. Cet article est paru dans Le Monde du dimanche 22-lundi 23 janvier 2017.

 

Thibaut Cuisset en 5 dates

19 mars 1958 Naissance à Maubeuge (Nord).

1991 expose au Musée de l’Elysée, à Lausanne (Suisse).

1992 Est aux Rencontres photographiques d’Arles.

2010 A l’Académie des Beaux-Arts de Paris.

19 janvier 2017 Mort à Villejuif (Val-de-Marne).

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