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André Soupart, Hergé collectionneur

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L’exposition qui est proposée ici rassemble une série de photographies prises en 1973 par André Soupart du célèbre créateur de Tintin, qui était par ailleurs un grand amateur d’art. Pour la seule et unique fois, Hergé avait accepté d’être photographié chez lui entouré de sa collection privée d’œuvres d’art.

C’était en 1973. A cette époque, je travaillais le scénario d’un projet de film avec Luc Monheim, un ami sculpteur qui deviendra par la suite également réalisateur et dont deux oeuvres faisaient partie de la collection d’Hergé.

En ces temps là, être cinéaste ou sculpteur en Belgique n’était pas chose facile, et comme nous avions la possibilité de diffuser des articles illustrés via l’agence de presse d’un ami, Luc et moi avions eu l’idée de demander à Hergé de nous présenter les oeuvres d’art de sa collection privée pour les publier sous forme d’article de magazine, car c’était un aspect inconnu alors du créateur. Hergé accepta, conscient que par cette exclusivité il nous donnait un petit coup de pouce.

Ce fut la seule fois qu’Hergé a ouvert ses portes pour photographier sa collection, ce qui rend mes images incontournables. Nous sommes donc allés le photographier dans son appartement du Vert Chasseur à Uccle, une des communes bruxelloises, et par après aux Studios de création, avenue Louise.

La conversation était si prenante que Luc a fini par oublier d’enregistrer ! Et l’article ne fut jamais écrit car Luc était loin d’être un écrivain et la bande magnétique de ces conversations avec Hergé a été perdue. C’est ainsi que ces photos sont restées dans mes tiroirs durant près de 30 ans.

Parmi la grande série de photographies que je doublais avec mes deux appareils Pentax, l’un chargé d’un film négatif noir et blanc, l’autre d’un film inversible couleurs, j’ai sélectionné 20 photographies qui constituent le corpus d’une exposition. Celle ci a été montrée, à la demande de Moulinsart, en complément du spectacle tiré des Bijoux de la Castafiore à Louvain la Neuve, et lors des journées “Bruxelles ma découverte” à Boitsfort, commune où Hergé habitat, ainsi qu’à Rotterdam.

Quatre photographies particulières me paraissent emblématiques de la personnalité de Hergé. En premier lieu ce portrait avec devant lui une planche originale de Zig et Puce que lui avait offert et dédicacé Alain Saint Ogan. Hergé y apparait grave, attentif, on peut y déceler toute son intériorité, son sens de l’écoute.

Une autre photo emblématique de cette série (photo n/bl.01) est celle où il tient le long tableau de l’artiste américain Kenneth Nollant. Digne de l’esprit de “la ligne claire”. J’aime cette photo car elle est structurée, symétrique, toute en simplicité et efficacité, les lignes horizontales s’opposant aux verticales du rideau de fond. Et j’aime aussi ce sourire complice de Hergé qui s’est prêté au jeu de la mise en scène pour laquelle nous avions dû pousser les fauteuils et même un canapé car je manquais de recul pour faire ma prise de vue.

Il existe une photo quasi identique en couleurs, avec son chat qui se frotte à ses jambes. J’ai appris bien plus tard, en présentant ces photos à sa veuve Fanny, qu’ils avaient appelé leur chat Bacchus parce que le bout de son museau était toujours rouge… Devant la cheminée de son salon, c’est le collectionneur amoureux de l’art, passionné et éclectique qui s’entoure aussi bien d’une toile de Fontana (toile qu’il affectionnait particulièrement), d’une aquarelle de David Hockney que d’une gouache géométrique de Herbin, le tout encadrant une tête éyptienne en bois doré de la 18è dynastie. Hergé pouvait autant parler de cette tête égyptienne que du Fontana ou de son Poliakoff, l’un des plus beaux qu’il m’ait été donné d’approcher.

Une autre parmi les photos emblématiques à mes yeux est celle où il brandit ce sceptre d’Ottokar comme un éternel enfant, capable de s’émerveiller, le sourire radieux. Pour cela, il est entré dans la vitrine qui garni l’entrée du couloir des Studios de l’avenue Louise. Dans cette vitrine on reconnait des objets qui rappellent les diverses aventures de Tintin et qui lui servaient ainsi de documentation: outre le sceptre d’Ottokar, la bannière de l’Harmonie de Moulinsart, les maquettes d’avions ou de la fusée d’”On a marché sur la lune”, d’après lesquelles, dans son souci d’exactitude et de réalisme, il prenait des croquis dans différents angles.

Hergé revenait d’un voyage aux USA. Il y avait rencontré le chef indien “One feather” (“Une plume” nous dit-il ) qui lui avait offert une cravatte de perle qu’il nous montra en la passant à son cou. Puis il s’éclipsa et revint coiffé d’un Stettson rapporté de ce voyage qu’il garda le temps de nous commenter les oeuvres accrochées sur le mur dans le hall: un nu de Tom Wesselman et une petite marine de Roy Lichtenstein. Mais on peut voir aussi, à l’arrière plan, une toile de Lypsick derrière un objet Bambara.

Une autre photo digne de “la ligne claire”, par sa simplicité et sa composition est celle où Hergé commente le trompe l’oeil en bas-relief de Tsoclis, accroché à un mur du Studio de l’avenue. A cette époque, Hergé était en pleine création de l’album de Tintin chez les Picaros. Il en montre ici les planches crayonnées. Je suis un grand admirateur du dessinateur qu’était Hergé. Pour moi, il rejoint Ingres ou Hans Holbein qu’il admirait, mais surtout un Delacroix par la fougue de son trait.

Ici, il montre comment il demande à ses collaborateurs de prendre la pose pour pouvoir croquer une attitude de Tintin avec exactitude. Là, lorsqu’on arrive au studio de création, un porte manteau avec les chapeaux melon des deux Dupondt vous accueille puis, au fond du couloir cette foret vierge avec un perroquet empaillé et le totem du chevalier de Haddoque, ancêtre du Capitaine. En revoyant mes photographies, je me rends compte qu’à la prise de vue je faisais la mise au point sur les oeuvres plutôt que sur Hergé car c’étaient les oeuvres qui nous intéressaient. Nous ne mesurions sans doute pas la chance que nous avions, eût égard à sa notoriété, car aujourd’hui je ferais certainement la mise au point sur Hergé lui même.

André Soupart

André Soupart, Hergé collectionneur
Du 2 au 28 février 2017
Galerie Artcube
9 place Furstenberg
75006 Paris
France

http://www.artcube.fr/

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