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Chobi Mela 2017: Arko Datto, Pik-Nik

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En Inde orientale, piqueniquer n’est pas du tout une petite affaire. Dans un pays où seuls les mois de décembre à février permettent de goûter aux plaisir d’un soleil tropical insupportable autrement, le pique-nique est un passe-temps hivernal qui est pris très au sérieux. Dans ce travail, réalisé de 2013 à 2015, j’examine ce phénomène.

On loue des autobus, on engage des cuisiniers, et des groupes de familles, d’amis et de voisins voyagent au loin pour trouver l’endroit idéal pour piqueniquer, si possible sur les rives des nombreuses rivières qui traversent le paysage, depuis le Gange jusqu’au Rupnarayan, l’Icchamati, et une multitude de rivières proches des Sunderbans. On trimballe des marmites de poulets fraîchement égorgés, des sacs de légumes et tout un arsenal de casseroles, de poëles, et de bonbonnes de gaz , élevant l’art de la cuisine en plein-air à un niveau inconnu jusque là.

Mais le détail le plus bizarre est de loin les haut-parleurs extravagants qui accompagnent presque tous les groups de piqueniqueurs. On les transporte dans des charrettes ou de petites camionnettes, et on apporte aussi des générateurs pour fournir de l’électricité en plein-air. Des chansons du hit parade Bengali et Hindi sont hurlées bien au-dessus de la limite de décibels autorisée. Saoûls de whisky et de rhum, des homes de tous âges chantent, dansent ou tombent dans les pommes sous les yeux de leurs femmes, de leurs petites amies et de leurs enfants.

Au coucher du soleil, les autobus s’en vont, permettant aux chiens errants et aux vaches de se gaver de la viande laissée sur lescarcasses, de pelures et de restes parmi les bouteilles cassées et les assiettes en carton. Un environnement fragile est endommagé et abîmés par cette pollution sans discrimination d’ordures et de plastique.

Souvent ce sont des familles qui assistent aux pique-niques, mais les syndicats commerciaux et les syndicats de transport organisent eux aussi leurs sorties hivernales. En bref, c’est une énorme confusion. PIK-NIK tente de comprendre ces rites sociaux et de décrire ces zeitgeist d’hiver.

En tant que pratique culturelle, les pique-niques que nous voyons dans ces images délivrent une abondance de sensations. Ils suggèrent ,au-delà du visuel, des sensations d’ordre auditif et olfactif. Les representations visuelles des haut-parleurs géants et de la cuisine en plein-air jouent à un nveau synesthésique en évoquant des sensations autres que visuelles et en opérant une transformation de ce visuel. Cette qualité multisensorielle modifie la grammaire visuelle habituelle de la photographie et a un effet immersif qui nous permet de devenir participants à l’expérience du pique-nique.

Dans ce travail je tente de capter le passage du temps, pas nécessairement chronologiquement mais sous forme de fragments issus d’un point de vue personnel et subjectif. Les images de préparatifs, de fête et de départ tracent une temporalité festive mais asssourdie tandis que la série explore les nuances de la vie communautaire dans ses moments discrets de solitude habitée. Aux marges d’une foule carnavalesque, certains visages aux yeux fixés sur le vide communiquent la contradiction entre solitude et compagnie. Par-dessus le silence, la photographie déploie sa propre temporalité. Cette série renforce cette vérité ancienne mais importante du médium.

L’expérience du pique-nique démontre aussi une subtile dynamique de classe. Le regard vide du cuisinier contrebalance la saoûlerie des hommes qui titubent. La danse des plus jeunes et le regard fixe des plus âgés décrivent toute la courbe de la vie. Une exploration en profondeur révèle la dichotomie de l’expérience sociale. On remarque une forte note de ségrégation par sexe et nous ne cessons de rencontrer des groupes d’hommes ensemble ou de femmes ensemble.

Enfin, au-delà de l’emphase sur les débris des pique-niques mentionnés plus haut, la série met aussi l’accent sur l’ordure comme réalité culturelle dominante dans ce scénario du soit-disant tiers-monde. Les branches d’arbres utilisées pour pendre les chemises et les voitures entièrement couvertes de housses sont des indicateurs de la médiocrité d’un certain mode de vie indien. Le croisement de la terre et de l’eau est un endroit parfait pour montrer les ordures qui restent et celles qui flottent sur les rives du temps. La série est ouverte à une époque de transition et en même temps transcende cette époque, tandis que les mégaphones disparaissent à l’horizon du soleil couchant.

Arko Datto, Inde

 

IXe Festival International de Photographie de Chobi Mela, Bangladesh
3 au 16 février 2017
Route No. 8A
Dhaka 1209
Bangladesh

www.chobimela.org

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