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Atelier et pensées avec Diane Moulenc

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Lorsqu’une photographie nous apparaît, se demande-t-on quels chemins l’artiste a emprunté ? Connaît-on ses habitudes, ses manières, ses façons de faire ? Devine-t-on sa spontanéité ou son lent processus de germination ? L’Œil de la Photographie inaugure aujourd’hui une nouvelle série, intitulée « Atelier et pensées avec… ». Destinée à saisir les processus créatifs d’un artiste, elle examine ateliers, pensées et gestes du photographe en se voulant discrète. La photographe française Diane Moulenc ouvre le bal.

Ce serait presque une évidence, idiote comme un truisme : les premiers gestes d’un artiste, au-devant de sa toile ou en prise avec son appareil, sont guidés par une méthode. Pour Diane Moulenc, la marche du photographe de rue initie le début d’une danse : « Je photographie dans la rue, assez rapidement, je m’attarde peu, trois, quatre photos d’un sujet suffisent. Je sais plus ou moins celles que je garderai, bien que les autres photographies demeurent importantes. Elles font parties de l’ensemble. Il est important de les prendre », explique-t-elle.

C’est une cadence à prendre, pas à pas, cliché après cliché. Et puis survient la bonne photo ! Un hasard ? Une chance ? Une intuition ? L’expérience ? L’œil retient un détail curieux, l’objectif le saisit sous différentes coutures. Quatre, cinq clichés suffisent d’un même sujet observé en travers, à l’envers, d’un autre angle, jusqu’à ce que l’entonnoir se rétrécisse et que le doigt glisse sur la bonne seconde.

La surprise est un sujet central dans l’œuvre de Diane Moulenc. « Je sens que je tourne autour d’événements incongrus. La photographie est comme une manière de prolonger ma surprise et mon étonnement. Il n’y a pas de réflexion derrière », analyse t-elle. Arpenter la rue nécessite de la distance. Les villes sont comme des pièges tendues aux imaginaires matraqués d’images. Depuis les rues d’Arles et de son École Nationale Supérieure de la Photographie (ENSP) jusqu’aux artères empressées de New-York, nos mémoires se gonflent de souvenirs fabriqués ou vécus. Les photographes aimés – influences durables et parfois pesantes – flottent dans l’ombre de certains clichés. Les lieux charrient leurs représentations et leurs mythologies. Il faut s’en défaire lentement, épurer, se départir. « Quand je suis restée dix jours à New York, j’étais dans un entre-deux, entre déception et émerveillement », détaille la photographe« La déception est venue en premier, j’avais l’impression de connaître, d’avoir déjà tout vu. Les photographes de rue des années soixante, soixante-dix, celles de Saul Leiter notamment, m’ont très fortement influencée ».

En amont de l’œuvre, se pose aussi la question de l’évolution du photographe dans son environnement. Certains habitants peuvent regarder la photographe avec méfiance. Que vient-elle faire ici ? Serait-on des bêtes de foires ? Malgré son habitude endurcie et « son tout petit appareil », Diane Moulenc peut s’avouer désemparée. À Mexico, qu’elle vient de quitter, mieux vaut jouer les touristes ignorants et naïfs ou bien filer à l’anglaise. Elle a quelque fois du mal à passer inaperçue. Les regards se font insistants. Le métier n’est pas dangereux mais il attire reproches et grommèlements… Serait-il moins bien accepté qu’auparavant, à une époque époque où l’on valorise l’image de soi et sa mise en scène tandis que le fait d’être photographié est vécu comme une intrusion voire un geste voyeuriste ? Étrange paradoxe.

Du reste, la photographie de Diane Moulenc révèle avec légèreté les irruptions du bizarre au quotidien, l’œil est comme amusé d’un jeu d’ombres, d’une relation d’objets. Elle-même connaît sa partition et s’accommode des ambiances. « À New York, on joue du statut de touriste. La ville serait presque un supermarché, les images sont faciles à saisir, presque données tant il est aisé de se fondre dans la foule. Les gens n’ont pas le temps de s’attarder, tout va très vite. Mon petit appareil est idéal pour cette situation ». Idéalement, la photographe préfère rester parmi les ombres et ne pas être vue.

L’œil joue quelques facéties à son maître. Il influe sur le regard. Alors, ce regard change, il se précise. Il gagne en acuité. Il se défait des premières émotions. Une fois les villes appréhendées, ces émotions primaires sont déposées au coin d’une rue. Les vagues de l’émerveillement comme les déceptions d’une ville reconnue disparaissent. Voilà la ville à peu près connue. Le pouls des gens est pris. Le regard change d’objets. Alors qu’à New York, Diane Moulenc se penchait sur l’ombre d’un poteau ou sur deux voitures s’imbriquant comme un puzzle, elle s’intéresse aujourd’hui à l’extrême foisonnement humain de la capitale mexicaine. « Tout se passe dans la rue, les commerçants, les badauds participent d’une effervescence. La lumière et les couleurs, l’agitation sont fascinantes. À l’inverse, New York est comme une rue peuplée de gens ayant un but, allant dans un sens donné », l’agitation new-yorkaise semble plus ordonnée, plus contrôlée, rien ne s’arrête, là où tout passe dans un murmure assourdissant.

Chez Diane Moulenc, tout se joue alors à la seconde, non pas à courir après le supposé sacro-saint instant décisif, mais plutôt dans l’incongruité du temps ; une sorte de non-temps, de temps curieux, de temps à reculons, où l’on apprécie les curiosités. « Je cherche un moment où l’on peut percevoir une légère bascule, quelque chose d’infime où l’étonnement survient, bien que mes images puissent paraître très graphique. Cette impression me permet d’introduire une rupture », démêle t-elle.

La rue ne fait pas tout. Vient ensuite « son moment préféré », la sélection, la mise en coupe, le tri, de son mot technique ‘l’éditing’, que chacun devine ou connaît. Ce sont de longues heures à scruter un écran pour y déceler les détails, y démêler les impressions, choisir une première sélection, la rétrécir, en faire une seconde, bref presser la photographie au tamis pour que sorte son jus afin d’en extraire l’œuvre. C’est un long moment, « une redécouverte », assure t-elle, avant d’approfondir. « Au début de mes études, après mon BTS Photo, j’ai travaillé pour la pub. Cela ne me plaisait pas, on y faisait des centaines de photographies par jour. Pour contrebalancer, je travaillais sur argentique, j’obtenais parfois une seule photographie en une heure, parfois davantage de temps. Lorsque je suis arrivée à l’ENSP (Arles), j’ai retrouvé le numérique avec plaisir tout en gardant le même processus de sélection que l’argentique. »

Seule cette sélection et ce long travail lui permettent de préciser les ambiances de couleurs, de lumières et d’actions qu’elle a saisies intuitivement. L’éditing sert aussi à « déconnecter les influences », à éliminer une photographie d’apparence réussie mais lisse comme un tableau. Dans ce processus de sélection se joue l’essentiel du travail. Diane Moulenc semble mettre la même distance que dans ses flâneries, cherchant à restituer les surprises et déconvenues heureuses de la rue. À mille lieux du mitraillage et de l’empressement, la pratique comme la réflexion se font avec retenue et parcimonie.

Alors viendront une autre rue, un quartier différent, une surprise nouvelle, des villes inconnues et leurs imaginaires rebattus et redistribués ; New York et sa jungle humaine, Mexico et sa jungle florale, puis l’exploration d’une partie du Mexique, l’Oaxaca et les Chiapas, avant de descendre vers le Guatemala, le Costa Rica et enfin Buenos Aires. « C’est un voyage quasi au jour le jour, ouvert aux changements de caps impromptus » promet-elle.

Un peu de tous ces lieux, brouillant cartes et territoires, voilà le cœur de son œuvre. Diane Moulenc redessine une architecture poétique, dans le travers des jungles urbaines, des imaginaires envahissants, des vitesses jamais freinées. On y lit un rire doux, des harmonies de couleurs, le temps se suspend. C’est là l’essentiel.

Arthur Dayras 

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à New York, aux Etats-Unis.

 

http://dianemoulenc.com/

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