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Charlotte Cotton : « Le caractère auto-réflexif de la photographie actuelle est une nécessité »

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Charlotte Cotton est une commissaire d’exposition indépendante et elle écrit également sur la photographie. Elle a occupé divers postes, y compris directrice du département de photographie Wallis Annenberf au Los Angeles County Museum of Art, coordinatrice de la programmation de The Photographers’s Gallery à Londres, ou plus récemment commissaire d’exposition en résidence du nouveau musée et salle événementielle du Centre International de la Photographie au 205 Bowery à New York. Parmi ses ouvrages, on compte La Photographie dans l’art contemporain, Imperfect Beauty, Guy Bourdin et le très apprécié Photography is Magic, publication critique qui passe en revue les pratiques de plus de 80 artistes qui ont en commun une approche expérimentale de la photographiques.

Comment faire pour que les manières différentes d’aborder le médium photographique soient acceptées par le plus grand nombre ? Au fond, qu’est-ce que la photographie aujourd’hui ?

En fait, je ne me penche pas tellement sur cette problématique, car on court le risque de tomber dans une définition générique de ce qu’est la photographie ou on a recours à une mise à jour de « l’histoire » de la photographie. Cela ne m’intéresse pas du tout de faire quelque chose de générique, et je pense que cela a été un des problèmes à résoudre au Centre International de la Photographie – l’idée qu’il était possible de créer un modèle, le Musée de la Photographie, comme on peut faire le musée du sexe ou le musée du sport, pour avoir une base. Quel est le plus petit dénominateur commun de compréhension du médium dont nous souhaitons que les gens disposent ? Ici, nous avons opté pour une autre démarche. Il s’agit d’un endroit pour les gens qui s’identifient eux-mêmes comme créateurs d’images. Ils ont une énorme capacité de lecture visuelle, une compréhension profonde d’un aspect de la pratique photographique et de son histoire. Et puis ce n’est pas un grand musée. Nous ne sommes pas tenus de fournir un texte compréhensible par n’importe quel visiteur – homme, femme ou chien. Cela ne correspond pas à notre public.

Vous avez fait la remarque que nous sommes une civilisation d’éditeurs et commissaires d’exposition amateurs. Vous qui êtes commissaire d’exposition professionnelle, quelle différence faites-vous avec les personnes qui opèrent dans un milieu similaire, mais dans le cadre de leurs loisirs, ou en ligne ?

Je n’opère pas vraiment de distinction. Ce que je constate, c’est que l’organisation d’expositions est un champ très vaste. J’ai une certaine expérience qui me permet de me rendre compte quand quelqu’un fait quelque chose de très recherché, ou qui ne s’est encore jamais vu, ou qui bouleverse les conventions. J’ai la plus grande admiration pour ceux qui parviennent à attirer l’attention en organisant des expositions en ligne. Je suppose qu’on peut dire que je suis commissaire d’exposition professionnelle, mais je crois qu’au cours de ces dernières années, et d’autant plus du fait que j’ai choisi de ne pas travailler à temps plein pour une seule institution, ça me donne davantage l’impression d’être une habitude, pas une profession. Et je crois que cela me rapproche des gens qui le font sur leur temps libre, ou en collectifs. L’organisation d’exposition, c’est surtout une démarche, au fond. Et dans la réalité, tout le monde le fait un peu. L’idée principale, c’est de faire des choses pour d’autres êtres humains. Quel que soit le public, le projet et l’invitation doivent être spécifiques. Je pense que n’importe qui peut organiser une exposition sur l’histoire de la photographie en général. Il faut être réaliste, n’importe quelle personne s’intéressant au sujet peut le faire. Ça n’a rien de spécial.

En tant que commissaire d’exposition, comment comblez-vous le fossé entre les plus jeunes et les plus âgés de vos visiteurs ?

Il faut créer un espace commun où tout est permis. Un jour au Centre International de la Photographie, quelques femmes âgées se plaignaient, à ce qu’il paraît, du fait que Kim Kadarshian soit dans [Public, Private, Secret], puis des étudiants en arts visuels sont arrivés et ils ont discuté avec elles, chaque groupe exprimant son point de vue opposé. Ce forum où tout le monde a sa place est nécessaire. Le Centre International de la Photographie concerne les jeunes de 17 ans, les gens qui viennent de sortir de l’université, pris dans un tourbillon de silence pur et d’herbes folles, qui ne savent pas s’ils vont continuer sur cette voie, qui ont des dettes…. et aussi les trentenaires qui viennent d’éponger leur prêt étudiant et qui s’apprêtent à se lancer en tant qu’auteurs indépendants et ont besoin d’un environnement qui repousse un peu leurs horizons. Mais aussi les cinquantenaires, qui ralentissent leur rythme professionnel et qui sont passionnés par la photographie, mais se rendent compte qu’ils sont un peu dépassés. Pour l’essentiel, cela a toujours été la mission du programme d’aide de l’ICP, non ? C’est une passerelle vers le monde de la photographie.

La photographie contemporaine est un médium qui a la spécificité d’être auto-référentiel. Est-ce dû au rôle omniprésent de la photographie dans notre société ? De quelles façons cette pratique produit-elle un commentaire culturel pertinent et productif ?

Je pense que le caractère auto-réflexif de l’art photographique contemporain est un élément nécessaire, pour les raisons que nous avons abordées ici. Il est simplement impossible de prendre une photo et d’affirmer « la photographie n’est qu’un médium ». C’est justement l’histoire que cela implique que je veux vous donner en lecture. Il n’est plus possible non plus de regarder un tirage en prétendant que c’est une fenêtre ouverte sur le monde. Et vous savez, certains artistes ont poussé ce paradigme à son paroxysme – en éradiquant le sujet du monde réel, en ayant recours à des procédés alternatifs, sans appareil photo – il s’agit dans tous les cas d’une méditation sur ce fait. Une photographie commune, c’est quelque chose qui n’existe pas. Ce qui nous ramène sur le terrain où nous avons démarré : une image a-t-elle besoin d’être littérale afin d’être comprise en tant que commentaire social ? Pour moi, la réponse est non. Je pense que le chaînon manquant, c’est la manière dont on utilise l’objectif pour simuler la vision humaine monoculaire. Autrefois, il y avait des tas de manuels traitant de la relation entre le sujet et le photographe, parce que le point de vue de l’appareil et le mécanisme de la photographie simulaient ce lien.

Mais à notre époque dite numérique, les frontières de la photographie contemporaine sont sans cesse repoussées, réinventées. Beaucoup de gens se lamentent du fait que ce qui faisait de la photographie un médium apprécié par le passé est désormais perdu.

Je pense que c’est ça la véritable perte – on ne peut pas vraiment blâmer les photographes contemporains d’utiliser les techniques actuelles de production. On ne peut pas dire qu’ils ne devraient pas faire ça. C’est socialement immoral. Je crois que de tout temps les artistes ont utilisé les moyens de production qu’ils avaient à leur disposition, en écho avec l’époque, et c’est là que se situe la posture sociale de l’art : répondre au temps présent. Je n’irai pas reprocher aux artistes actuels que nous, qui ne sommes pas nés dans l’univers numérique, ressentons la perte d’une activité centrée sur les rencontres et la permissivité offerte par l’appareil photo. Heureusement, l’exposition en cours donne de bons contre-exemples.

Propos recueillis par Andrea Blanch

Andrea Blanch est la fondatrice et éditrice en chef de Musee Magazine. Cet entretien a été publié dans le numéro 16, sorti en octobre 2016 qui est disponible à la vente (65 $).

http://museemagazine.com/

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