Rechercher un article

Justes solidaires, projet photojournalistique mettant en lumière l’entraide citoyenne

Preview

Du 12 janvier au 11 mars, le projet de Bertrand Gaudillère et Catherine Monnet était exposé à la bibliothèque du premier arrondissement de Lyon.

Au mois de mai 2015, un grand nombre de personnes fuyant la guerre trouvent refuge en France, à Paris, sous un métro aérien (porte de la Chapelle). Ces personnes, désignées par le terme de “migrants”, attendent d’obtenir le statut de réfugié de la part de l’État français. Ils sont Erythréens, Soudanais ou Ethiopiens, en tout, ils sont 350 êtres humains, 150 relèvent de la demande d’asile, 200 autres sont en transit vers d’autres destinations, comme le Royaume-Uni ou les pays de l’Europe du Nord.

Pour des raisons d’hygiène, le camp informel est évacué par les forces de l’ordre en juin. Les réfugiés se dispersent dans la ville et bientôt, de nouveaux campements se forment dans les alentours. Les forces de l’ordre reçoivent alors l’ordre de démanteler ces nouveaux campements, souvent sans ménagements. Les violences policières infligées aux réfugiés heurtent les riverains, les citoyens. Ils sont nombreux à s’y opposer. Une solidarité nouvelle prend forme. C’est à partir de ce moment que l’idée du projet Justes solidaires nait dans l’esprit de Bertrand Gaudillère, photojournaliste et membre du collectif Item à Lyon, et Catherine Monnet, journaliste et ancienne grande reporter pour Radio France Internationale.

Expliquez-nous quel a été l’élément déclencheur de ce projet ?

Catherine Monnet : A cette époque, on avait déjà l’idée de travailler sur l’immigration. On a été alertés en entendant les premiers témoignages à la radio, dans lesquels il était question des violences policières à l’encontre des migrants au moment de l’évacuation des campements. On a trouvé qu’il y avait quelque chose d’interpellant de voir les gens s’opposer à ces violences. Ce n’étaient pas des syndicats ou des associations, mais des collectifs de citoyens. Je pense qu’il y a un moment où les habitants d’un même quartier peuvent devenir très solidaires, une sorte de seuil à partir duquel les gens sortent de leur indifférence et se mettent à agir.

Comment travaillez-vous à deux, sur le terrain, puis sur la construction du projet ?

Bertrand Gaudillère : On se parle beaucoup ! Moi, j’essaye de me faire oublier le plus possible pour témoigner de la réalité à laquelle je suis confronté. J’espère en rendre compte de la manière la plus judicieuse possible. Je travaille de manière moins structurée que Catherine…

C.M : Mon travail est davantage journalistique. Je recherche des informations tangibles et vérifiables : qu’est-ce qu’on peut dire ? Sur quoi on peut s’appuyer ?

B.G : C’est la rencontre de nos deux manières de voir les choses qui a permis ce projet. S’il n’y avait eu que de la photographie, cela aurait été trop abstrait. L’idée de travailler ensemble, c’est aussi de créer un sujet multimédia. Ici, on a mixé la photographie avec l’écriture.

Pouvez-vous nous expliquer les particularités de votre projet ?

B.G : Notre projet n’est ni un sujet photographique, ni un sujet écrit. C’est un dialogue permanent entre l’image et le texte. Personnellement, je ne revendique pas ce travail sans la collaboration avec Catherine. Ce n’est pas un travail simplement photographique, mais du photojournalisme. Rien ne tient tout seul dans ce projet !

C.M : Cela peut sembler simple mais cela nous a pris des heures de réflexion ! Il y a quatre éléments dans notre projet : deux photos, un verbe d’action, et un texte qui retranscrit l’interview de chaque bénévole.

Qu’avez-vous souhaité exprimer avec cette série de quinze portraits ?

C.M : On a souhaité démontrer plusieurs choses. Déjà, qui aide ? On a le cliché selon lequel les bénévoles sont tous soit des retraités qui n’ont rien d’autre à faire, soit des gauchistes qui peuvent se payer le luxe d’être bénévoles ! Je fais exprès de caricaturer mon propos. En réalité, on s’est aperçus qu’il y avait une variété étonnante de gens qui aident. Ils avaient tous des profils socio-économiques très différents. On a donc eu la volonté de mettre ça en avant. Cela nous a donné l’idée des deux photos. Il y a un portrait intime de la personne, chez elle. Avec celui-ci, on démontre que tous les bénévoles viennent d’univers très différents et qu’il n’y a pas un profil type pour le devenir. Ensuite, on a voulu illustrer l’idée qu’il y avait autant de façons d’aider qu’il y a de personnes ! C’est le sens du verbe d’action qui permet d’entrer dans le sujet. On explique qu’il n’y a pas qu’une façon d’aider (divertir, héberger, soigner…) et surtout, qu’il n’y a pas de petites actions. Chacun peut aider en fonction de sa spécialité et selon ses propres compétences. On n’a pas besoin d’être juriste ou infirmier… La photographie “en action” représente les bénévoles sur le terrain. Elle va dans le sens du verbe : elle permet de montrer concrètement l’aide que l’on peut apporter aux migrants.

B.G : Au départ, j’étais réticent à l’idée de réduire quelqu’un à une action. Mais en fait, c’est la porte d’entrée du sujet. Il permet aux gens de comprendre, de dérouler tout ce qu’on va dire. Ce n’est pas réduire, c’est ouvrir.

C.M : Enfin, le texte permet de comprendre ce qui a poussé ces personnes à passer à l’acte. C’était une vraie interrogation pour moi, je souhaitais comprendre leurs motivations, l’élément déclencheur qui les a incités à aider. Les bénévoles étaient souvent réticents à parler d’eux-mêmes, ils avaient plutôt envie de parler des migrants ! Là aussi, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas une raison unique qui pousse les gens à s’engager, mais que cela dépendait de l’histoire personnelle de chacun.

D’une certaine manière, avez-vous souhaité dénoncer une défaillance de l’État sur la question de la prise en charge des réfugiés ?

B.G : Je ne suis pas militant, je suis photojournaliste. Mon but dans ce travail, c’était de montrer qu’il y a un vrai vide institutionnel, voire une violation du droit en France par les institutions elles-mêmes, qui ne mettent pas en place des structures d’accueil suffisantes pour les réfugiés. Alors j’ai photographié ces bénévoles qui sont pour moi des gens importants de la société française, car ils viennent pallier des défaillances associatives et institutionnelles. Après, il y a un fond politique, c’est vrai. Ce que nous apprennent ces bénévoles, ces gens solidaires, c’est que les victimes, ce sont les réfugiés. Ils sont victimes de la guerre. Ce n’est pas la France qui est victime de l’immigration.

C.M : Personnellement, je me demande comment ces gens survivraient s’il n’y avait pas ces personnes pour leur apporter du lait, des vêtements… La solidarité citoyenne vient remplir les vides laissés par l’État. La première ligne d’aide envers les migrants vient de la solidarité spontanée des citoyens face à la détresse de ces personnes. Cela même avant que ne se mettent en place les associations, puis l’État en dernière ligne, lorsqu’il veut bien intervenir…

Comment qualifier votre démarche, alors : politique ou simplement humaniste ?

B.G : Evidemment il y a le côté politique, dans le sens « on ne peut pas accepter ça » [les violences policières]. Mais le discours est davantage humain : on parle du moment où on sort de notre indifférence. La manière de parler de l’immigration était différente chez ces gens-là [les bénévoles] : ils ne considéraient pas la chose comme un problème social, politique ou économique, mais humain. Le sens de mon travail depuis dix ans, c’est de ramener de l’humanité derrière les chiffres. On parle de l’immigration en termes de pourcentages, de statistiques : « Combien de Soudanais, d’Erythréens… ». C’est d’une banalité affligeante ce que je vais dire, mais dans ce projet, on est d’être humain à être humain. Il n’y a pas de bons ou de mauvais réfugiés, juste des gens qui sont dans la demande. En voyant les choses comme cela, le dialogue peut s’établir, les mains peuvent se tendre, les ponts peuvent se faire.

C.M : On s’inscrit plutôt dans une démarche documentariste. C’est-à-dire qu’on souhaitait exprimer un propos, révéler une situation qu’on a constatée sur le terrain. Pour cela, on a mis en place un dispositif qui permet de révéler cette situation existante.

B.G : Je n’aurais pas dit mieux ! 

Propos recueillis par Marion Moret

Marion Moret est une journaliste basée à Marseille, en France.

 

Cette exposition s’inscrit dans le cadre du projet La France vue d’ici, porté par le festival photographique Images Singulières et le journal en ligne Mediapart.

https://www.bm-lyon.fr/nos-blogs/democratie/?lang=fr

https://blogs.mediapart.fr/616712/blog/311216/justes-solidaires

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android