Rechercher un article

« Entre les tours », reflet du quoditien de jeunes d’un quartier

Preview

Rue Gaston Monmousseau, les Minguettes, Vénissieux, près de Lyon. C’est un paysage très atypique qui se déroule sous les yeux du visiteur. Sur la tour d’immeubles à droite, bordant la route, de grandes photographies en noir et blanc sont regroupées, par quatre ou cinq, chaque grappe entourant une fenêtre ou slalomant sur le mur. Un nom écrit noir sur blanc accompagne chaque série.

Ce paysage est le fruit du travail des treize collégiens ayant participé à un atelier de photographie, proposé par le centre social du quartier (Eugénie Coton). Aux vacances de la Toussaint dernière, Lucie Moraillon et Antoine Boureau, deux auteurs photographes, accompagnés de Samy Bendjama, l’animateur permanent au secteur jeune, sont venus présenter cet atelier aux adolescents. Treize d’entre eux ont été intéressés : « Ça donnait envie », résume simplement Mattéo, 14 ans. Pendant deux semaines, ils ont appris les rudiments de l’appareil photo argentique, comment s’en servir, comment développer les photographies. « On était tous ensemble le matin, et l’après-midi, on les laissait vadrouiller avec les appareils », explique Samy. Il leur a été proposé de travailler selon un thème. « Au début, on prenait tout et n’importe quoi », raconte Mattéo. « Le thème est venu au fur et à mesure de ce qu’on prenait ».

Chacun d’entre eux a ainsi personnalisé son thème en fonction de ce qu’il souhaitait exprimer. « Ils ont chacun donné un point de vue différent de leur quartier, c’est ça qui était intéressant », explique Samy. Madiba, 12 ans, a axé son travail sur une série de grimaces. « Ce que j’ai aimé, c’est quand on est allés au marché, je demandais aux gens s’ils voulaient faire une grimace, et voilà, je prenais la photo ». Bilel, 14 ans, a souhaité présenter son quartier, les tours. « Il a souhaité valoriser ça, car c’est quelque chose qu’il aime », développe Samy. Mattéo, lui, a été le seul à réaliser une série de mises en scène. Enfin, Wassim, 12 ans, a délivré une remarquable série de portraits de ses amis en clair-obscur.

Autrement, les jeunes sont pudiques lorsqu’on en vient à parler ouvertement de leur travail. Ils lancent quelques idées, quelques mots. Qu’est-ce que vous avez souhaité exprimé à travers ces photographies ? « Le quartier, l’amitié… ». Les photographies garderont leur mystère. Il ne semble pas souhaitable pour leurs auteurs de mettre des mots dessus. Ces photographies immortalisent la vie qui a eu lieu entre ces murs, « entre les tours ». Elles reflètent la joie, l’espoir, la force des amitiés.

Lucie Moraillon est l’une des auteures photographes qui a encadré les jeunes de Monmousseau pendant l’atelier. Elle est à l’origine d’une association, Dialogues en Photographie, qui propose de faire découvrir la photographie à un large public.

 

Comment les jeunes ont réagi en prenant les appareils photo pour la première fois ?

Ils étaient enthousiastes, curieux de savoir comment ça marchait. Avant ça, ils prenaient déjà des photos avec les portables mais pas avec des argentiques… C’est une génération où cela n’est plus vraiment présent. Mais ils ont très vite compris comment ça marchait, parce qu’ils sont débrouillards, autonomes. Ils ont senti la magie entre le moment où l’on fait la photo et le moment où on la voit. J’ai trouvé ça assez précieux, le moment où ils prenaient le temps d’imaginer le résultat, le fait de ne pas avoir tout, tout de suite.

Comment s’est déroulé l’atelier ? 

Ce qu’il y avait de nouveau dans cet atelier, c’est qu’il n’y avait pas de thème imposé, on leur a demandé de réfléchir à ce qu’ils aimaient. On leur a fait comprendre que ce qui est important en matière artistique, c’est ce qu’on a à dire, ce qui nous anime, nous constitue, c’est cela qui est beau.

Ils ont commencé à être enthousiastes au moment où ils ont compris qu’il n’y aurait pas de sujet imposé, car cela revient à mettre tout le monde dans la même case. C’est à partir de là qu’ils se sont fait plaisir, qu’ils ont fait de bonnes photos. Par exemple, il y avait un jeune passionné de foot, donc je lui ai dit qu’il était bien placé pour faire un reportage là-dessus. Il a trouvé un intérêt à la photographie à ce moment-là en découvrant que cela pouvait rejoindre sa passion. Une jeune fille a pris en photo tous les éléments de la nature, elle a gommé les éléments urbains, car ce qu’elle perçoit de son quartier c’est la nature, pas forcément le béton.

C’est cela la force de la photographie : lorsque l’on prend le temps de se demander ce que l’on veut prendre en photo. La source de bonnes images, c’est l’énergie, l’envie.

Vous attendiez-vous à des résultats aussi bons ?

Il y a une grande incertitude avant le début de chaque atelier, car c’est différent à chaque fois, ce que la photo peut nous apporter, produire en nous. C’est toujours une surprise. Je n’avais pas d’attentes précises.

C’est aussi une histoire de rencontres, ça ne marche pas forcément à chaque fois. Ce qui a contribué à la qualité des photographies, c’est l’émulation qui a eu lieu entre eux, lorsqu’ils ont perçu la construction de la photographie et le fait qu’ils étaient responsables de leur série personnelle.

Aviez-vous la volonté de voir ce que rendent les photographies de jeunes n’ayant jamais manié un appareil photo ?

Ce qui m’importe beaucoup, via mon association, c’est de proposer la découverte de la photographie auprès du grand public, je pense que c’est une pratique mal répandue, je veux dire, tout le monde fait des images mais pas grand-monde fait de la photographie (en prenant en compte la gestion de la lumière, du cadre…), encore moins dans les quartiers pauvres de Lyon, où l’on propose moins d’activités artistiques que dans les quartiers riches. C’est important de créer une passerelle entre le centre-ville et la banlieue. C’était un moyen de les rencontrer, un vrai voyage car même si ce n’est qu’à quelques stations de métro, on n’y va jamais. C’était aussi une façon de savoir qui sont ces jeunes, et qu’ont-ils à dire lorsqu’on leur donne un moyen de s’exprimer ?

Qu’avez-vous trouvé beau dans le déroulement de cet atelier ?

Les jeunes ont osé sortir de leur zone de confort, faire des portraits. Parce que ça, c’est assumer sa présence, sortir de sa réserve, se rapprocher de l’autre, ce qui n’est vraiment pas facile à l’adolescence ! Egalement, j’ai senti que j’arrivais à leur transmettre la magie de la photographie, c’est quelque chose qui reste en nous même après, que l’on ait un appareil photo ou non, c’est une façon de voir la vie. Une façon qui attire beaucoup de joie. Je pense qu’on s’est compris à ce niveau.

Cet atelier en particulier vous a-t-il inspirée pour la suite de votre travail ?

Cela m’a donné envie de reproduire ce genre d’expériences, mais sur la durée. J’ai senti de leur part une envie de continuer et qu’ils trouvaient ça bizarre que l’atelier prenne fin au bout de dix jours. Je vais reproposer cet atelier à la Toussaint prochaine, faire une suite entre les deux.

Aussi, ils vont être exposés aux rencontres d’Arles. Je trouve ça bien de faire venir des jeunes qui n’ont pas forcément leur place dans ce genre d’événements à la base, plutôt que de voir toujours les mêmes grands photographes exposés depuis des années. Je pense qu’ils ont besoin de sentir qu’ils font les photos pour eux mais aussi pour les autres ; que c’est un moyen de partager.

Marion Moret

Marion Moret est une journaliste basée à Marseille, en France.

 

Plus d’informations:

http://www.icfhabitat.fr/groupe/expo-photos-minguettes-vernissage

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android